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10 octobre 2009 6 10 /10 /octobre /2009 07:37

-         Tu sais qu’en Corse jai vu les plus beaux trous du monde

-         Où çà

-         À Sperone

-         Et moi j’ai vu la plus étrange église du monde

-         Où çà

-         À Lugos.

-         Allons, raconte-moi l’église, je te raconterai mes trous après.

 

« Il y a près de chez nous, tout au bout d’un de ces vieux chemins de la lande qui ne vont nulle part une très vieille chapelle debout comme une prière loin du monde et du bruit. Elle se trouvait autrefois sur la route des pèlerins qui s’en allaient, coquille au chapeau, bâton au poing, prier Monsieur Saint Jacques à Compostelle.

Ce n’était pas n’importe quelle chapelle puisqu’elle ouvrait sur les chemins de la lande qui sont, comme chacun sait, tellement effrayant pour les gens qui viennent du nord.

Quand le village de Lugos a déserté les bords de l’Eyre, abandonnant l’église dont ils attendaient peut-être la rédemption ce fut comme si les habitants avaient fui un cataclysme. Tout ce qu’on sait, c’est qu’un beau jour les fées de la rivière ont isolé la nef, en l’entourant d’un marais avant de tirer sur elle un double rideau de brumes et de moustiques . C’est alors que les habitants sont partis, exactement comme pour la Belle au bois dormant.

Le privilège des conteurs est de pouvoir dire n’importe quoi mais il ne faut pas qu’ils en abusent. Je me contenterai ici de rapporter les faits.

La Belle au bois dormant a dormi cent ans mais les années de la lande sont interminables comme la pluie quand elle y tombe. Une fée, dit-on, y avait retenu le plus beau pèlerin qui ait jamais traversé la lande, ses marais et ses moustiques.

Le miracle fût que, se tenant par la main, un des ces jours où le soleil danse sur le sable blanc par-dessus les bruyères, deux enfants s’aventurèrent dans un taillis jusqu’en ses abords. Une fée sans doute, prise de remords après la disparition de son beau prisonnier, avait dû les guider en ces lieux : ils n’avaient pas une égratignure sur les  mains.

-         « Une chaumière », dit Juliette !

-         « Un château », dit son Roméo plus proche de Robin des Bous que d’un amoureux transi, « avec plein de lianes pour monter à l’assaut » !

-         « Avec une vraie armée dedans » dit le garçon quand il vit s’animer les fresques.

 

Juliette et son compagnon auraient voulu garder pour eux ce cadeau des fées de la Leyre mais, quand la forêt s’est ouverte une fois, elle ne se referme jamais plus. Des visiteurs sont venus. L’église s’est ébrouée ; elle ne s’est jamais tout à fait réveillée. »

 

-         C’est comme ce garçon qui a découvert les grottes de Lascaux dis-je à mon chat pour montrer que, moi aussi, j’avais quelques soucis du patrimoine.

 

-         Un peu.

 

-         C’est tout ce que tu as à me raconter ? J’aurais pu te parler des trous et des îles Lavezzi où sont des mystères plus grands que les tiens.

 

-         Ne raconte pas d’histoires, on verra demain.

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9 octobre 2009 5 09 /10 /octobre /2009 06:35

-         Que vas-tu raconter aujourd’hui

-          La Corse, ses habitants et le pays

-         tu n’as pas vu que tes lecteurs en ont assez de la Corse.

-        Que veux-tu? J’ai encore plein de choses à raconter qu’ils risquent de ne jamais connaître.

-         C’est moi qui vais te raconter une histoire que j’ai entendue pendant ton absence.

 

« En ce temps-là il y avait sur la Leyre des radeleurs qui descendaient au fil de l’eau sur des troncs de pins solidement liés qu’ils menaient à la mer et des lavandières qui venaient laver le linge à la rivière.

Les radeleurs débouquaient de l’ombre, souples et silencieux comme des indiens. Ils avaient des allures de rois glissant à coups de perches au ras des branches qui s’inclinaient devant eux. Il nous semblait alors que quelques lavandières un peu plus hardies que les autres glissaient un œil furtif sur ces conquérants de l’onde et que quelques radeleurs, oublieux de leur sérénité légendaire, laissaient un peu trop longuement traîner leur regard sur ces croupes baissés et ces seins dégrafés.

En ce temps là on voyait souvent, parmi les lavandières, une fille un peu plus brune peut-être, et plus secrète que les autres. On la disait de mère sorcière et de père inconnu. Aussi avait-elle aux joues ces fossettes qu’y creuse le diable et dans les yeux un peu de la braise qu’il traîne sous les pieds.

Un jeune étranger vint à passer sur son radeau, tout noir de poil, le regard vif, le rire franc. Margot, qui était seulette ce jour là  à tordre ses mouchoirs et battre les draps, lui fit son plus beau sourire. Elle le revit souvent et, chaque fois qu’il passait devant elle, une onde  courait sur l’eau, insidieuse comme une caresse.

Un lundi (c’était jour de rinçage),  les filles et les femmes du village furent toutes étonnées de trouverde très bonne heure la brouette Margot abandonnée au bord de l’eau, pleine de linge pas rincé. On n’a jamais revu Margot.

 

 C’est depuis ce jour-là que les filles amoureuses qui s’en vont lire seules au bord de Leyre tournent le dos à la rivière. C’est qu’elles savent de quels artifices sont capables les fées quand, tel un dieu sorti de l’onde, quelque beau radeleur glisse au fil de l’eau.

 

C’était autrefois, il y a bien longtemps. Il n’y a plus de radeleurs  mais  l’on se demande pourquoi les filles aiment tant venir  lire sur l’herbe au bord de l’eau. »

 
-         Pas mal, mais crois-tu vraiment que tes lecteurs préfèrent ça à mes souvenirs de voyage?

-         Tu as vu, hier, à la télé : un restaurant a été totalement dévasté parce que son propriétaire résistait à ses concurrents.

-         Où çà ?

-         À Thonon-les-Bains

-         Mais ce n’est pas en Corse, çà !

Çà ne fait rien, c’est pareil.

Photographies de Jean Nogrady
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8 octobre 2009 4 08 /10 /octobre /2009 06:59

      -         On me dit que tu es passé par Corte

      -         Comment sais-tu çà, toi ?

      -         Tu oublies que nous, les chats, avons assez souvent côtoyé les voyantes pour en avoir gardé quelques enseignements

      -         Eh bien oui, je suis allé à Corte

      -         Qu’ y as-tu vu ?

      -         Le musée

      -         Quel musée ?

      -         Le musée ethnologique

      -         Qu’est-ce qu’il y a là

-         Les traditions de la vieille Corse dans un musée superbe.

-         La belle affaire, il y a le même à Bordeaux.

-         Mais on ne va voir les musées que lorsqu’on voyage.

-         Je sais, les Parisiens qui ne montent sur la tour Eiffel que pour éblouir les étrangers qu’ils reçoivent mais qu’a-t-il donc de particulier, ce musée de Corte ?

-         Les souvenirs des temps anciens

-         La nostalgie ?

-         Un peu. Les corses ont enfermé les souvenirs de leurs traditions dans la forteresse de Corte comme autrefois les habitants s’enfermaient dans des maisons fortes quand arrivaient les envahisseurs.

-         Ils ont tellement peur des envahisseurs ?

-         Ils ont surtout peur de devenir leurs esclaves. C’est pour çà qu’on les a vus à Lépante.

-         Certains renégats en ont profité : l’un d’eux est bien devenu dey d’Alger

-         Et l’organisateur de razzias en Corse, mais n’y a pas que les renégats.

-         Tu y as vu des encagoulés au musée?

-         Ce sont les membres des confréries.

-         Des confréries, pourquoi faire ?

-         Elles s’occupent des enterrements. Autrefois, elles s’occupaient aussi de payer les rançons pour la libération des habitants razziés par les barbaresques.

-         Ça arrivait souvent?

-         Chaque fois que sonnait le colombo et que les habitants, prévenus depuis les tours génoises n’avaient pas eu le temps de se réfugier dans la montagne.

-         Ce n’est pas honteux de racheter des esclaves ou de préparer des enterrements, ce n’était pas la peine d’être encagoulé pour çà

-         Tu sais, les Corses ont la charité discrète, au contraire de ce que nous voyons sur le continent où la charité se fait de plus en plus ostentatoire.

-         Et aujourd’hui ?

-         La cagoule, c’est autre chose.

-         Ils sortent toujours avec une cagoule?

-         Pas toujours, simplement quand ils veulent cacher quelque chose ou qu’ils ont le remord comme le catenaccche de Sartène

-         Le catenacche, qu’est-ce que c’est ?

-         Le plus grand pêcheur qui expie sous la croix et les coups de chaîne.

-         Regarde Gaffori comme il a belle allure.

-         Il n’a pas de cagoule, lui.

-         Si c’est pas du paraître, çà

-         Oui mais du paraître héroïque

-         Le fameux « garde-toi, je me garde ? »

-         On y a des amis aussi, solides comme le roc de la montagne.

-         « Pace e salute »


Photographies jean Nogrady et Jacques Stiefbold

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7 octobre 2009 3 07 /10 /octobre /2009 06:42

-         Où es-tu allé encore en Corse ?

-         Aux aiguilles de Bavella

-         Tu es passé par le chas ?

-         Il n’y a pas de chas aux aiguilles de granite.

-         Il n’y a pas de chats en Corse ?

-         Si, il y a des chats.

-         Comment fais-tu pour les appeler ?

-         Je fais minou, minou, minne, minne

-         Et ils viennent ?

-         Ils s’arrêtent, me regardent et puis s’en vont

-         Ils doivent comprendre le Français pour s’en aller quand ils te voient.

-         Où est-ce que tu en as vu le plus ?

-         À Sainte Lucie de Tallano

-         Pourquoi ?

-         À cause de l’œil de Sainte Lucie, une pierre qui soigne les yeux

-         Pour y voir comme avec des yeux de chats ?

-         Des yeux de lynx tu veux dire

-         Les lynx c’est des sortes de chats

-         De chats sauvages, si tu veux.

-         Il n’y a pas de chats sauvages en Corse ?

-         Non rien que des chats divagants. Tout est divagant là-bas : les vaches, les chèvres,

les cochons…

-         Et les moutons…

-         Non, les moutons, ils se promènent un coup à la plage, un coup à la montagne.

-         Ils vont se baigner à la plage ?

-         Non, ils cherchent de l’herbe.

-         Ils trouvent de l’herbe dans le maquis ?

-         Quelquefois, quand l’incendie n’est pas trop récent

-         Et à la montagne, ils sucent les rochers ?

-         Non il y a des plats en Corse et des pentes où il y a de l’herbe quand la neige ne les couvre pas.

-         Les cochons aussi, mangent de l’herbe ?

-         Pas eux, ils mangent des châtaignes.

-         Et les chats divagants?

-         Ils ne mangent pas de châtaignes à cause des piquants.

-         Ils mangent quoi alors ? Des croquettes au bruccio ?

-         Il n’y a pas du bruccio tout le temps et ils ne mangent pas toujours des croquettes, tu sais.

-         Que mangent-ils alors ?

-         Ça dépend de ce que les hommes leur laissent quand ils vont à la chasse.

-         À la chasse au mouflon

-         Au sanglier ; il n’y a plus que quelques mouflons protégés. Et toi, qu’as-tu fait pendant ce temps?

-         J’ai mangé des croquettes.

-         Pas tout seul à ce que je vois.

-         Moi aussi j’ai fait des connaissances.

-         Des connaissances de plage encore ?

-         Qu’est-ce que tu crois ? L’été n’est pas fini.

Photographies de Jean Nogrady et Régine Rosenthal

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6 octobre 2009 2 06 /10 /octobre /2009 07:08

-         Les voyages en Corse, ça ressemble à quoi ?

      -         À tous les voyages. D’abord il y a de grands bateaux tout plats. Ils ne fendent pas l’eau, ils repassent les plis de la mer comme de vulgaires fers à repasser.

      -         Épargne-moi les voyages sur l’eau. Rien que d’y penser, j’en ai le mal de mer.

      -         Flaubert aussi l’a eu, en allant en Corse.

      -         Parle-moi de la route

      -         Il y a des tournants, beaucoup de tournants.

      -         Ils sont signalés ?

      -         Rarement, mais on finit par compenser, un coup à droite, un coup à gauche.

-         Et si on loupe un virage ?

-         Ça dépend, on va sur la roche ou on tombe dans le ravin.

-         Il y a des ponts sur les ravins

-         Beaucoup : des étroits, des génois, des viaducs…

-         On m ‘a dit qu’il y a des ponts magnifiques

-         Mais il n’y a pas toujours d’eau

-         C’est des ponts pourquoi alors ?

-         Pour le cas d’inondations : l’eau passe dessous.

-         C’est pas drôle. Parle-moi des villes.

-         Je suis allé à Bonifacio

-         Et tu as vu quoi ?

-         Des escaliers de pierre qui montent d’un trait jusqu’en haut, tout droit.

-         J’aime bien grimper, moi

-         Oui mais les escaliers de Corse, s’ils ont bien des marches comme les autres n’en ont pas deux de la même hauteur.

-         Et si on veut aller au second ?

-         On redescend

-         Et si on a de la peine à monter ?

-         On le fait une fois et l’on reste en haut.

-         Tu veux me dire qu’on ne livre ni fourneau, ni machine à laver, ni cercueil ?

-         Si par les fenêtres. Sauf pour les cercueils parce que les vieux, on les hélitreuille pour les conduire à l’hôpital.

-         Que me racontes-tu là ? C’est horrible. J’ai vu hélitreuiller un chat, j’ai eu des cauchemars pendant quinze jours. Et les vieux, qu’est-ce qu’ils font quand ils sont là-haut ?

-         Ils regardent la mer.

-         Ils en ont de la chance 

-         Pourquoi dis-tu çà ?

-         Parce que les Arcachonnais veulent tous voir la mer, mais ils n’ont pas de cimetière marin.




Photographis Jacques Stiefbold et Paul Yvan Béna

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5 octobre 2009 1 05 /10 /octobre /2009 07:34

-         Alors, mon chat, tu m’attends sur le perron ?

-         Je n’attends personne

-         On dirait que tu fais la gueule. Je vois que tu as bien mangé pendant mon absence.

-         Ta voisine versait tous les jours un paquet de croquettes dans mon assiette

-         Et tu n’as pas eu d’indigestion ?

-         Non je laissais manger d’abord les sans domicile fixes, les merles, le hérisson. Même son chien qui voulait me chiper les croquettes et qu’elle tirait toujours en arrière

-         Mais les croquettes étaient pour toi, pas pour les SDF, les merles, les hérissons, même le chien de la voisine

-         Ce n’est pas toi qui m’as dit qu’il fallait laisser les autres d’abord ?

-         Même le chien ?

-         Tu sais, on s’entendait bien tous les deux. Maintenant, je vais dormir entre ses pattes

-         Tu ne vas pas m’abandonner pour le chien de la voisine ?

-         Tu m’a bien abandonné pour je ne sais quelle gourgandine.

-         Ce n’était pas une gourgandine, c’était la Corse

-         Qu’est-ce que c’est que ça ?

-         Une montagne dans la mer

-         Mais la mer tu l’as là

-         Pas la montagne

-         Si, tu as la dune

-         Tu ne peux pas savoir : la mer, la montagne, les odeurs, le maquis et les hommes, les chats corses….

-         Tu as vu tout çà ? Tu me raconteras ?

-         Si tu me racontes ce que tu ase fait pendant mon absence

-         Çà, ça dépend de ta gentillesse à mon retour

-         Alors pour mon récit de voyage, ce sera pareil.

Et mon chat s’est drapé dans toute sa majesté féline. Je dois dire que ça lui va très bien.

 








Photographies de Jean Nogrady

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25 septembre 2009 5 25 /09 /septembre /2009 07:18

-         Tu ne veux pas que je t’amènes chez ma fille ?

-         Je ne veux pas être enfermé dans ton fichu panier.

-         Et tu crois que je ne suis pas enfermé dans ma fichu voiture ?

-         Oh, je sais bien, tu ne vois rien, même pas un chat qui traverse la rue

-         Tu ne veux pas aller en pension ?

-         Non.

-         Que veux-tu alors ?

-         Je veux rester près de la maison tous les jours de ton absence.

-         Même s’il pleut ?

-         Il y a assez d’abris

-         Et s’il fait froid

-         Il ne fera pas froid.

-         Et pour les caresses

-         Je sais où aller.

-         Mais tu n’auras pas l’ordinateur

-         Ça m’est égal.

-         Que feras-tu ?

-         Je rêverai, je regarderai les oiseaux, les lézards, les papillons de l’automne

-         Et les souris ?

-         Les huîtres les ont toutes tuées.

-         Qu’auras-tu pour manger ?

-         Ta voisine posera des croquettes sur le perron et puis, pour une fois que je n’aurai pas de la nourriture industrielle…

-         C’est long dix jours.

-         Je sais

 

Et mon chat partit en maugréant : « je leur ferai payer cet abandon. Ils n’ont pas fini d’en entendre parler ».




Photographies Paul-Yvan Béna

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24 septembre 2009 4 24 /09 /septembre /2009 06:29

 

 

La loco est dans les prés

Merveille, merveille

La loco est dans les prés

Et moi je veille, je veille…

 

-         Tu rêves ou tu veilles, qu’est-ce que tu me chante là ?

-         Les deux, je pense à cette locomotive qui est passée dans les près un jour que je buvais dans un ruisseau. C’était une loco buissonnière.

 

Et sans reprendre son souffle, mon chat enchaînait :

 

…Une locomotive d’autrefois, de celles qu’on avait inventées pour les enfants sages. Elle avait cheminé longtemps, si longtemps sur deux rails bien ordonnées qu’ils en étaient devenus tout luisants d’usure, qu’il lui prit un jour la fantaisie de les quitter.

 

            Elle est partie, la petite locomotive par un beau matin de printemps. Tout l’y encourageait : le muguet sonnait de toutes ses clochettes « mais vas-y donc, mais vas-y donc » la tourterelle roucoulait « tout doux, tout doux » et le coucou en rajoutait « cours un coup, cours un coup ».  Doucement, tout doucement, elle est sortie des rails comme on sort de l’eau, en s’ébrouant. Elle ne s’est plus sentie le fer aux pieds. Les nuages qui l’accompagnaient faisaient des volutes comme en faisaient les locomotives d’autrefois. Elle a remonté la pente des collines au milieu des pâquerettes et des boutons d’or, comme aspirée par les sommets. Elle a batifolé au milieu des vaches qui, pour une fois, pouvaient la flairer. Elle a trempé ses roues dans l’eau des ruisseaux. Elle a bu le soleil et la fraîcheur du vent Et puis…

 

Et puis la nuit est arrivée, une nuit sombre sans fanal, sans lampadaire, sans la lumière des gares, sans feu vert, sans feu rouge, sans sifflet et sans ces sonneries qui l’annonçaient aux gares. Elle s’est affolée, la petite locomotive dans ce milieu qu’elle ne connaissait pas et dont on lui avait dit qu’il était plein de taggers sauvages qui laissaient des signatures sanglantes comme les bandits des grands chemins. Elle se souvint alors de la petite chèvre de Monsieur Seguin : elle est descendue dans la plaine sur la pointe des roues.

 

Elle a erré longtemps, très longtemps, jusqu’à ce qu’elle sente l’acier d’un aiguillage. Elle y a glissé ses roues avec le soulagement qu’ont les grandes personnes aux pieds blessés quand elles enfilent leurs pantoufles. Elle a remis ses roues sur les rails et elle est revenue jusqu’au garage qui brillait dans la nuit, heureuse de n’avoir pas trouvé le loup que les grandes personnes mettent dans leurs contes pour faire obéir les enfants et les locos désobéissants.








Photographies Paul-Yvan Béna

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23 septembre 2009 3 23 /09 /septembre /2009 09:40

-         Je t’ai vu traverser la route. Tu fais bien attention ?

-         Il y a quinze ans que je fais çà. Je ne suis pas né de la dernière pluie.

-         Les voitures vont vite.

-         Mais elles sont seules dans la rue. On les voit venir et on les entend de loin. Tu te souviens du temps où tout le monde était dans la rue : les chats, les chiens, les titis, les petites filles sur les seuils qui jouaient à la poupée, les marchands à leur devanture…

-         Mais c’était dangereux.

-         Pour qui ?

-         Pour les automobilistes ? Te souviens-tu de ce dessin de Benjamin Rabier où les poules, les chats, les chiens, les gamins, tout le monde s’enfuyait devant une auto conduite par un automobiliste bardé et coiffé de cuir comme les premiers aviateurs, comme s’ils allaient s’envoler en bout de route.

-         La rue était alors un espace public.

-         Ça l’est toujours

-         Les autos nous en ont chassé.

-         Ce ne sont quand même pas des chars d’assaut.

-         Presque. D’ailleurs il y en a eu.

-         Il y a quand même des piétons sur les trottoirs

-         Quand les autos ne s’y sont pas installées.

-         Les piétons ne s’en plaignent pas

-         Non puisque les piétons d’aujourd’hui sont des automobilistes qui font du shopping ou qui cherchent leurs voitures.

-         Heureusement qu’il n’y a pas assez de place pour qu’ils se mettent tous devant les magasins.

-         Ils le font devant les super marchés

-         Qu’ils y restent !

-         Comment fais-tu pour les éviter ?

-         J’attends sur un muret.

-         Mais il y a tant de voitures

-         Mais j’ai le temps.

-         On dirait que tu regrettes les passé

-         Il n’y a pas que moi. Un grand photographe regrettait l’autre jour cet espace de vie et de jeu pour les enfants.

-         Il leur reste les couloirs d’HLM

-         Ils en font leur territoire exclusif, ce qui n’est pas mieux.

-         Que veux-tu alors ?

-         Qu’on ne prive pas les chats de liberté.

-         Mais tous les chats ne sont pas dans la rue ?

-         Les chats bourgeois, non, comme les enfants de la bourgeoisie autrefois.

-         Pourquoi ?

Ils ont de l’espace chez eux.

Photographies Jean Nogrady, Antine@, Régine Rosenthal
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22 septembre 2009 2 22 /09 /septembre /2009 07:48

Mon chat, qui passe de longues heures sur le toit des voisins a très bien connu la petite Nadia. Voici ce qu’il m’en dit un jour

 

Il y avait une fois une petite fille qui s’appelait Nadia. Elle habitait un appartement où il n’y avait qu’une pièce. Elle s’y ennuyait beaucoup, ne parlait jamais et ses parents la disaient idiote. Elle ne sortait pas dans la rue pleine de voitures qui vont trop vite et de ménagères qui bousculent tout le monde avec leurs paniers à marché. Elle n’allait jamais que dans la cour, mais une cour si étroite qu’elle ne s’y désennuyait jamais.

 

Un jour qu’elle était assise dans la cour, elle sentit un petit choc sur la joue

-         Qui est là ? murmura-t-elle parce qu’elle savait quand même murmurer.

-         C’est moi dit la petite graine qui lui a raconté l’automne et comment elle s’était échappée du bec d’un oiseau.

Elle lui dit aussi que si elle la mettait dans un peu de terre du vieux pot de fleur, elle pousserait peut-être.

 

Une autre fois, c’est quelque chose qui lui a fait froid dans le cou : un flocon de neige qui lui dit que c’était l’hiver et qu’il avait peur d’être pressé en boule ou écrasé par un ski. Parce que Nadia lui a plu, il s’est retenu de fondre tout un jour pour qu’elle joue avec lui comme s’il était en peluche.

 

Un jour encore elle a senti sur sa jambe la pointe d’une brindille tombée du bec d’un moineau. Elle a écouté l’oiseau toute la journée parler du printemps, des bourgeons et des nids quel les oiseaux font. La petite brindille fut tour à tour baguette de fée, pinceau, aiguille à tricoter, épingle dorée pour finir la journée sur le vieux pot de fleur où perçait une tige verte.

 

La tige avait bien grandi quand Nadia reçut sur la tête un oiseau maladroit qui apprenait à voler. Elle l’a retenu à deux mains et l’a caressé longtemps.

 

Nadia était heureuse de toutes ces chose qui étaient venues jusqu’à elle. Il lui vint l’idée de questionner parce qu’elle avait appris à l’aimer la tige verte qui s’appuyait bien gentiment sur la brindille. Et, pour la questionner, elle se mit à parler.

Ses parents l’ont dite guérie.

Elle l’était, en effet.

 



Photographies Régine Rosenthal

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