- Tu sais qu’en Corse j’ai
vu les plus beaux trous du monde
- Où çà
- À Sperone
- Et moi j’ai vu la plus étrange église du monde
- Où çà
- À Lugos.
- Allons, raconte-moi l’église, je te raconterai mes trous après.
« Il y a près de chez nous, tout au bout d’un de ces vieux chemins de la lande qui ne vont nulle part une très vieille chapelle debout comme une prière loin du monde et du bruit. Elle se trouvait autrefois sur la route des pèlerins qui s’en allaient, coquille au chapeau, bâton au poing, prier Monsieur Saint Jacques à Compostelle.
Ce n’était pas n’importe quelle chapelle puisqu’elle ouvrait sur les chemins de la lande qui sont, comme chacun sait, tellement effrayant pour les gens qui viennent du nord.
Quand le village de Lugos a déserté les bords de l’Eyre, abandonnant l’église dont ils attendaient peut-être la rédemption ce fut comme si les habitants avaient fui un cataclysme. Tout ce qu’on sait, c’est qu’un beau jour les fées de la rivière ont isolé la nef, en l’entourant d’un marais avant de tirer sur elle un double rideau de brumes et de moustiques . C’est alors que les habitants sont partis, exactement comme pour la Belle au bois dormant.
Le privilège des conteurs est de pouvoir dire n’importe quoi mais il ne faut pas qu’ils en abusent. Je me contenterai ici de rapporter les faits.
La Belle au bois dormant a dormi cent ans mais les années de la lande sont interminables comme la pluie quand elle y tombe. Une fée, dit-on, y avait retenu le plus beau pèlerin qui ait jamais traversé la lande, ses marais et ses moustiques.
Le miracle fût que, se tenant par la main, un des ces jours où le soleil danse sur le sable blanc par-dessus les bruyères, deux enfants s’aventurèrent dans un taillis jusqu’en ses abords. Une fée sans doute, prise de remords après la disparition de son beau prisonnier, avait dû les guider en ces lieux : ils n’avaient pas une égratignure sur les mains.
- « Une chaumière », dit Juliette !
- « Un château », dit son Roméo plus proche de Robin des Bous que d’un amoureux transi, « avec plein de lianes pour monter à l’assaut » !
- « Avec une vraie armée dedans » dit le garçon
quand il vit s’animer les fresques.
Juliette et son compagnon auraient voulu garder pour eux ce cadeau des fées de la Leyre mais, quand la forêt s’est ouverte une fois, elle ne se referme jamais plus. Des visiteurs sont venus. L’église s’est ébrouée ; elle ne s’est jamais tout à fait réveillée. »
- C’est comme ce garçon qui a découvert les grottes de Lascaux dis-je à mon chat pour montrer que, moi aussi, j’avais quelques soucis du patrimoine.
- Un peu.
- C’est tout ce que tu as à me raconter ? J’aurais pu te parler des trous et des îles Lavezzi où sont des mystères plus grands que les tiens.
- Ne raconte pas d’histoires, on verra demain.