Le blog de charles daney

-         Où vas-tu Mije

-         À Pôle Emploi

-         Quoi faire ?

-         Maintenant que j’ai élevé ma famille, je cherche un travail

-         Tu tiens tellement à travailler ?

-         Non mais j’aurai un pécule de remise au boulot et dans six mois je reviendrai avec une indemnité de licenciement et deux ans de chômage

-         Çà ne se fait pas

-         Si, je connais une femme de toubib qui l’a fait

-         Mais elle n’en as pas besoin. C’est pas moral de prendre l’argent des pauvres

-         Ce n’est pas l’argent des pauvres, c ‘est celui du gouvernement

-         Tu devrais la dénoncer

-         À qui ? Tout le monde le sait et personne n’en parle

-         Si, toi.

-         Je suis contente d’avoir jeté un pavé dans la mare mais je ne dirai aucun nom : je n’ai pas de preuve

-         Où sont les preuves ?

-         À Pôle Emploi.

-         Et ils ne vérifient pas là-bas si les gens ont vraiment besoin d’argent

-         Non parce que les organismes ne dénoncent jamais ce qu’ils font et que les payeurs ne sont pas les contrôleurs. Leur action est uniquement pédagogique

-         C’est un peu foutoir comme action

-         C’est ce que j’ai voulu dire.

Photographie Régine Rosenthal

- Dis-moi, Mije, pourquoi attrapes-tu toujours les pieds de tes maîtres quand ils montent sur leur lit ou entrent dans leur bain.

- Je fais comme Tron.

- Comme Tron?

- Oui, de la réflexologie. Tu ne lis pas les journeaux?

- Et c'est permis, çà, la réflexe au logis.

- En privé, oui, pas en public.

- Parce que Tron, il léchait les pieds en public.

- Bien sûr, c'est un homme public.

- As-tu demandé la permission à tes maîtres?

- Ils ne me l'auraient pas accordée, alors, je l'ai prise

- D'après les journaux, logis, mairie ou cabinet, c'est pas parmis.

- Comment veux-tu t'entraîner si tu n'en as pas l'occasion.

- Qui c'est qui peut faire de la réflexo... quelquechose

- Les réflexologues.

- çà leur est réservé?

- Bien sûr

- Et comment ont-ils appris?

- Comme tout le monde : sur le tas.

- Et maintenant il faut un diplôme?

- Il faut un diplôme pour tout pouvoir se réserver

- Et les bonnes femmes qui cachaient les recettes de leurs remèdes de bonnes femmes?

- C'est du secret de fabrication, c'est normal tant qu'elles ne les vendent pas.

- Tron ne les vendait pas, ses prestations.

- Mais c'est le monopole des réflexologues en titre, la réflexologie. 

- C'est pas un secret, c'est une technique et cacher une technique, c'est de la dictature.

- Tu vas continuer à en faire?

- Tant que je pourrai lécher et mordiller les pieds de mes maîtres, oui..

-          Dis moi, Mouss’, si je met ma patte dans ta bouche, c’est du viol ?

-         Sauf raison médicale, bien sûr que c’est un viol.

-         Et mon doigt dans ton nombril ?

-         Oui

-         Mon doigt dans ton nez ?

-         Que vas-tu chercher là !

-         Et mon auriculaire dans ton oreille ?

-         Arrête : tout est viol même ta langue dans ma bouche

-         Mais alors tous les bébés, quand on leur cure les oreilles, quand on leur nettoie le nez, quand on leur lave le nombril…

-         Bien sûr. C’est de la pédophilie

-         Ils peuvent se plaindre ?

-         Oui.

-         J’en connais des enfants qui ont être contents !!!!

-         Pourquoi ?

-         Tu as vu le Larousse : Viol : action de porter atteinte à ce qu’on doit respecter. Et moi, je préfère regarder mon nombril tout seul. me curer les oreilles tout seul et fourrer mon doigt dans mon nez tout seul ? Je le respecte, même que j’adore mes crottes de nez.

- Tu sais, Mouss', je comprends très bien que quelqu'un de très riche puisse défendre les pauvres.

- Ils ont toujours eu une idée saine du partage

- Tu sais, Saint Martin, il a bien partagé son manteau

- Je sais, mais c'était autrefois.

Photo Régine Rosenthal

 Arcachon est une ville bâtie sur un cap dunaire qui n’a pas changé d’un iota depuis au moins la création de la ville en 1857. Le Cap Ferret est une langue de sable fluctuante qu’à chaque arrivée estivale les Ferret-Capiens vont mesurer au centimètre près pour connaître ses nouvelles limites. Que le nez s’allonge et c’est la fête ; que la pointe raccourcisse et c’est la consternation. Les Ferret-Capiens sont les challengers de leur presqu’île.

Quand on achète une maison à Arcachon, c’est une villa, au Cap Ferret, c’est une cabane, même si la cabane coûte plus cher que la villa, elle-même d’un bon prix. Les Arcachonnais invitent toutes les gloires anciennes : écrivains, artistes, hommes politique et quelques souverains à habiter leur villa. À les en croire, ils sont tous venus chez eux. Au Cap Ferret il y a assez de têtes médiatiques pour qu’on n’ait pas besoin de tête couronnée.

L’été, les touristes arcachonnais ont l’allure tranquille des familles en goguette. Ne serait-ce leur nombre, ils passeraient inaperçus. Au Cap Ferret, ils ont les pieds nus comme des sauvages, même si leurs shorts et leurs chemisettes sont de bonne marque, voire de bonne coupe. Ils ont le comportement insolent et tranquille de ceux qui peuvent tout se permettre. Ailleurs, ce serait de la provocation ; ici, c’est une institution.

Dans Arcachon, où sont des pistes cyclables, on voudrait bien remplacer les voitures par des vélos. Au Cap Ferret il faut avoir le vélo et la voiture, au moins un 4X4. Le vélo seul vous ferait passer pour un miséreux, un diplodocus que l’on accepte uniquement comme unique témoin d’un passé révolu. La 4X4 seul vous signalerait comme parvenu, incapable de vous adapter aux lois subtiles du sable Ferret-Capien où l’on est l’ami de tout le monde, même des ostréiculteurs du village des pêcheurs. Une amitié d’été, qui se dilate à la chaleur solaire, n’engage à rien ; un bon hiver remettra de l’ordre dans tout cela. 

L’indépendance, l’indolence de chacun font malgré tout du Cap Ferret un état cohérent. Dans le Roi du Cap Ferret(éditions Vents salés), Éric de Saint Angel a campé une sorte d’Ubu régnant sur une tribu ubuesque. Personne n’a songé à dire que Néron avait incendié Rome pour en détruire les lupanars, Saint Angel, familier des écobuages, montre son Roi incendiant la presqu’île pour reconstruire le Ferret à sa guise. Une idée à creuser.

Céramique de Nicole Chatignol.