- Il écrit chez Glen, ton maître?
- Non, chez Glénat
- Il écrit chez Glen, ton maître?
- Non, chez Glénat
- Que fais-tu, mon chat?
Je lis le prochain livre de mon maître
- Chez Elzévir?
- Non, mon maître n'a jamais écrit que chez de vrais éditeurs, chez GlénTiens, regarde : photographies de Karine Médina
- I
Le dernier grand lotissement à l’ancienne était annoncé en
1965. L’immense parc séparant Arcachon des Abatilles se bâtissait. La démolition du chalet Pereire, qui montrait toutes ses boiseries comme un vieux dentier en bon état , exorcisait d’un
coup les vieux démons de la brocante. Les anciennes écuries y ont gagné d’être considérées. Lotissement sans passé Pereire s’est pourvu d’une plage originale alliant le bois, le sable, l’herbe et
l’eau dans la longue perspective d’une baïne.
On rencontre tout autour du Bassin beaucoup de gens qui courent. D’ordinaire, quand on court, c’est derrière un bus ou un voleur. Ici, les gens ne courent derrière rien. C’est même pour cela qu’ils ont une tenue spéciale. Je me suis toujours demandé ce qui les faisait courir : un bouquet, un ruban, une médaille ou une de ces innombrables jeunes filles qui semblent ne vivre que pour embrasser les coureurs en bout de course ? Arcachon est toujours une ville de santé.
Il y a un peu plus de deux siècles que la chapelle bâtie par Thomas
l’Illyrien pour sa vierge d’albâtre a été déplacée. On finit par la figer dans le flanc d’une basilique. Des siècles d’ardents pèlerinages ont cédé la place à la pastorale du tourisme. La
bénédiction du quinze août (tourisme oblige) et les croisières de prières ont remplacé les marches à pied des Testerines qui furent si longtemps, comme elles le chantaient en marchant, à la
Vierge fidèles. L’église prête son carillon aux évènements religieux, sa flèche aux repérages des routes mais sa croix n’est plus saluée par les bateaux qui ont oublié les traditions.
Malgré son casino, Arcachon est une fondation ecclésiastique. Non
seulement en vertu d’une Vierge recueillie au Bernet après une tempête en 1519 mais aussi à cause de l’abbé Mouls, curé d’action, bâtisseur d’églises, intermédiaire avisé entre Pereire et
Roumégous (l’acquéreur et l’un des gros propriétaires de la dune). Arcachon le vénérait en ses jeunes années et l’Empereur le décorait. Mais ce « diable » de curé, ambitieux comme un
évêque de la Renaissance, aussi agité qu’un moine ligueur, à peu près aussi discret que frère Jean des Entommeures devant les envahisseurs saccageant sa vigne, sentait visiblement le soufre pour
Monseigneur Donnet, primat d’Aquitaine et pair de France. Il l’enlevait à sa ville avant de favoriser son exil et d’organiser son oubli.
Les charpentiers, dans les décors de bois des balcons et des vérandas, comme dans la dentelle des avant-toits, ont reproduit à l’infini les découpes avec cette répétition dans les détails que ne peut assurer notre époque munie de tous les automatismes désirables. C’est qu’on se lasse vite aujourd’hui de la répétitivité des gestes qui requiert du temps, richesse perdue. Et nous les aimons comme Harpagon sa cassette, ces vieilles guipures de bois.
On a beaucoup débattu
pour savoir s’il fallait écrire Pilat ou Pyla, qui se prononcent aujourd’hui exactement de la même manière mais non hier quand claquaient les syllabes. L’importance n’est pas dans la
prononciation, peut-être même pas dans l’étymologie ; elle est dans le graphisme, élément indispensable de la présentation de tout ce qui se vend. Si Pyla est une porte c’est que, depuis
Mille neuf cent quatorze, il s’ouvre aux constructions de villas.
C’est pour
mieux garder le Pilat dans leur giron que les Testerins y ont fait construire une voie directe, évitant aux voyageurs assoiffés de dune les tentations de la ville, surtout celle d’à côté. Ils
font tout pour garder ce sable qui les inquiétait tant au XVIIIème siècle. Et si l’on parle encore de l’invasion de la forêt par la dune, c’est pour intéresser les touristes. On ne remerciera
jamais assez le courant sapeur de la passe sud d’avoir dénudé le Sablouney (c’est le nom que portait la dune au siècle dernier, quand elle était boisée) pour en faire un site touristique – e que
n’aurait jamais été une dune couverte de pins. La dune nouvelle fait de 104 à 114 mètres à l’altimètre du tourisme. Son sommet bouge sans arrêt mais les touristes ont besoin de certitudes.
Est-ce pour
rappeler ses sympathies révolutionnaires des années 93 que la municipalité de La Teste a gardé les deux lanternes qui encadrent la façade de la maison Lalanne ? C’est une
des « maisons nobles » de La Teste avec guirlandes de pierre et perron de fer forgé au-dessus de la lourde porte centrale. Restaurée, elle s’est munie, à l’italienne, d’une fausse
fenêtre peinte à la place de celle qu’un esprit trop rigoureux pourrait croire volée ou perdue, ou détériorée par le temps.
Autrefois La Teste avait deux quartiers : celui des marins au nord – désert aux malines, dimanches compris- et celui des résiniers au sud – désert en semaine. Les hommes en bleu à part des hommes en rouge, ainsi distingués par la couleur de leurs pantalons. Le marché et les grands magasins les ont oubliés : les résiniers ont disparu, les parqueurs ne s’y montrent plus.
Peinture de Malrieux
Les réservoirs à poisson à
l’eau tamisée par des écluses bardées de toile de jute opposent un solide barrage entre les ports du Teich et de la Mole. Les ostréiculteurs qui se sont installés à la Barbotière près du Lycée de
la mer viennent du Canal tout proche aujourd’hui endormi à l’ombre des cabanes devenues vétustes en quelques années comme touchées par la malédiction qui y frappait naguère les confiseries de
sardines, fortes bâtisses de briques désormais désertes en bout de darse. Et l’on n’oublie pas au pied du vieux moulin de Larros branlant de toutes ses pierres rouillées et fermé par mesure de
sécurité que, sur ces quais en pente, on laissait glisser pinasses et cotres sardiniers avec la solennité que requièrent les baptêmes.
Tout près de là Gujan dispose, au pied de l’église, du plus authentique cimetière marin ayant jamais existé (celui de Valéry est au sommet de la colline de Sète). La marée y remonte la pinasse et plus d’un vieux matelot que la mer a oublié de prendre ou accidentellement rendu au rivage a dû plus d’une fois s’y sentir chatouiller l’âme par le flot.
Photo Jean-Christophe Lauchas