- Dis-moi il faut que je
prépare l'intervention du Maire, tu n'aurais pas un conte d'actualité en réserve par hasard ?
- Je ne t'ai jamais raconté l'histoire de ces chasseurs de Gironde qui attendaient les palombes?
- Des palombes? Justement nous sommes en plein dedans.
Quand un homme regarde en l’air, en Gironde, c’est qu’il attend les palombes. Ce qu’y voyait le simplet de village était hors de vue des autres habitants pourtant habitué à circuler le nez en
l’air. Il souriait toujours, même quand il n’y avait pas de palombes. C’est pour çà qu’on le disait simplet.
Il marchait déjà comme çà quand il était petit et ses parents disaient d’un air entendu « cet enfant va finir par se casser la gueule », ce qui aurait dû être l’évidence même. Mais il y a toujours un Bon Dieu pour les rêveurs. Et ce simplet là n’avait pas son pareil pour sentir un vol de palombes deux jours avant qu’elles n’arrivent. C’était un cas. Le village le considérait comme un héros local – un peu comme un demi de mêlée de rugby.
Son père lui avait légué une palombière, sorte de vigie à nacelle de brande, bien calée à la naissance de la plus grosse branche
d’un chêne. Il vivotait du produit de ses chasses en saison et de l’hospitalité du village hors saison.
Cela aurait pu durer longtemps, s’il n’y avait eu la trahison. Notre simplet a dit comme çà que la dame ne voulait plus qu’on touche aux palombes. Habitués à ne jamais tenir compte de ses paroles, les chasseurs se mirent à l’espionner, d’autant plus qu’il montait deux fois par jour à la palombière.
Au début, cela étonnait : « Le passage serait-il précoce cette année ? Le temps a-t-il été déréglé par la pollution ? » Les habitants supputèrent les impossibilités : « Il faudrait que les glands poussent. Le maïs n’est pas assez mûr, etc… » Ils en vinrent à douter de leur informateur. « Avait-il perdu le don ? » ou encore « avait-il toute sa raison ? » ce qui était un comble en parlant d’un garçon simplet. On le crut même gagné par les écologistes, payé par Dugrain- Dubourg .
Et puis un jour d’octobre, à l’heure où l’aube fait briller la rosée, les habitants du village n’en crurent pas leurs yeux. La palombière du simplet n’était pas une nacelle, c’était une volière. Il y avait des palombes partout tout autour d’elle.
On courut chez notre simplet : pas de simplet. On le crut au café : le café était vide. On se portait en troupe à l’église où il servait de bedeau quelquefois : le curé ne l’avait pas vu depuis deux jours déjà. Deux hommes des plus hardis montèrent à la palombière : ils l’y trouvèrent tout au fond en compagnie de …la plus belle des dames qu’un « cassaïre » ait jamais rencontré dans la lande, même quand il avait bu un bon résidu de grappe : des yeux de feu, une chevelure de lumière longue à lui recouvrir le croupion… Ils étaient certains d’une chose, c’est qu’ils ne l’avaient jamais vue auparavant parce qu’une fille pareille, çà ne s’oublie pas.
Lourds de cette découvert, il dévalèrent l’échelle au risque de se rompre les cervicales mais quand ils voulurent tous ensemble porter le "tourin" comme on fait aux jeunes mariés la nuit de leurs noces, il n’y avait plus dans la palombière ni la dame, ni le simplet. Il n’y avait même plus d’oiseaux.
C’est ainsi que
les palombes ne sont jamais revenus dans ce village de cassaïres où des hommes trop indiscrets n’ont pas su laisser tranquille un garçon simplet qu’ils avaient trouvé au fond de sa palombière en
compagnie de la plus belle dame qu’on ait jamais connue en ce coin de Médoc où sont pourtant venues tant de belles étrangères.
Photographies de Régine
Rosenthal