- Je t’ai vu traverser la route. Tu
fais bien attention ?
- Il y a quinze ans que je fais çà. Je ne suis pas né de la dernière pluie.
- Les voitures vont vite.
- Mais elles sont seules dans la rue. On les voit venir et on les entend de loin. Tu te souviens du temps où tout le monde était dans la rue : les chats, les chiens, les titis, les petites filles sur les seuils qui jouaient à la poupée, les marchands à leur devanture…
- Mais c’était dangereux.
- Pour qui ?
- Pour les automobilistes ? Te souviens-tu de ce dessin de Benjamin Rabier où les poules, les chats, les chiens, les gamins, tout le monde s’enfuyait devant une auto conduite par un automobiliste bardé et coiffé de cuir comme les premiers aviateurs, comme s’ils allaient s’envoler en bout de route.
- La rue était alors un espace public.
- Ça l’est toujours
- Les autos nous en ont chassé.
- Ce ne sont quand même pas des chars d’assaut.
- Presque. D’ailleurs il y en a eu.
- Il y a quand même des piétons sur les trottoirs
- Quand les autos ne s’y sont pas installées.
- Les piétons ne s’en plaignent pas
- Non puisque les piétons d’aujourd’hui sont des automobilistes qui font du shopping ou qui cherchent leurs voitures.
- Heureusement qu’il n’y a pas assez de place pour qu’ils se mettent tous devant les magasins.
- Ils le font devant les super marchés
- Qu’ils y restent !
- Comment fais-tu pour les éviter ?
-
J’attends sur un muret.
- Mais il y a tant de voitures
- Mais j’ai le temps.
- On dirait que tu regrettes les passé
- Il n’y a pas que moi. Un grand photographe regrettait l’autre jour cet espace de vie et de jeu pour les enfants.
- Il leur reste les couloirs d’HLM
- Ils en font leur territoire exclusif, ce qui n’est pas mieux.
- Que veux-tu alors ?
- Qu’on ne prive pas les chats de liberté.
- Mais tous les chats ne sont pas dans la rue ?
- Les chats bourgeois, non, comme les enfants de la bourgeoisie autrefois.
-
Pourquoi ?