- Tu
penses à quoi, Mouss’ ?
- C’était en 1954. On lisait un mot sur les murs du métro, un seul : Garap.
- Garap, qu’est-ce que çà veut dire ?
- Nous nous le demandions tous, les chats du métro et les rats des égouts. Il n’y a que les clochards que çà laissait indifférents.
- Çà a duré longtemps ?
- Plusieurs mois et puis un jour… Et puis un jour vint un début de réponse ; « La réponse sera donnée le mois prochain »
- Et c’était quoi, la réponse ?
- Gare à la publicité. Nous avons ri, nous avions tort.
- Pourquoi ?
- Parce que c’est ce jour que tout a basculé.
- Que veux-tu dire ?
- Que la publicité s’est emparée de la femme, ses parfums, ses bas…Une nouvelle espèce de femme naissait, comme aujourd’hui on voit les soigneurs façonner une nouvelle espèce de sportif.
- C’est çà la libération de la femme.
- Pour la libérer on a commencé par la déshabiller sur tous les murs des villes d’abord et puis…
- Et puis quoi ? Tu vas parler à la fin
- Et puis pour pouvoir suivre les conseils de la pub, on a fait du chiffre.
- Comment çà ; du chiffre ?
- Les banquiers nous ont fait dire qu’ils avaient besoin de notre argent.
- Et on leur en a donné ?
- Bien sûr, ils le demandaient avec de tels trémolos sur leur pub !
- Pour en faire quoi ?
- Pour le jouer.
- Le jouer ?
- Pour trader si tu veux
- Mais il n’y pas que les traders qui font du chiffre…
- Les policiers aussi.
- Çà se voit à quoi ?
- Aux contraventions et aux garde-à-vue. C’est alors que les voleurs s’y sont mis.
- Et çà se voit à quoi ?
- Aux braquages qui sont de plus en plus meurtriers.
- Les femmes sont devenues de plus en plus attirantes. Même les fillettes s’y sont mises.
- Et de plus en plus convoitées, violées, étranglées. Comme dans les films policiers, où c’est toujours résolu en cinquante cinq minutes. Même à l’école on cherche à faire du chiffre.
- Çà se voit à quoi ?
- À 80% des élèves qui passent le bac et à un sacré pourcentage d’élèves qui refusent l’école.
- 80% + un sacré pourcentage çà fait combien ?
- un sacré chiffre.
- Et nous, pendant ce temps là, qu’est-ce qu’on fait ?
-
On observe, Caramel, on observe. N’oublie pas que nous devons accumuler pas mal de vies en attendant, et manger des tas de souris.
- Il n’y en a plus que dans les laboratoires
- Pour faire du chiffre ?
- Non, on vient de leur interdire d’interdire les huîtres !
- Hum ! Çà sent 68 tout çà..
Photographies Françoise Ronsin et Jean Nogrady