Mon chat n’est pas satisfait ce
matin : les chats du premier rang l’ont snobé et sa copine a voulu bronzer intégralement.
Une petite chatte blanche, surtout, le regardait depuis la terrasse de sa maison « pieds dans l’eau » - une maison de premier rang. Pensez donc ! Elle portait sur elle cette morgue qu’ont les gens d’ailleurs qui se croient tout permis.
- Les gens de l’été, dit mon chat, surtout quand ils sont de premier rang prétendent que « partout où un « premier rang » met le pied, là est un morceau de propriété privée ».
Il ne croyait pas si bien dire :
- Ôte-toi de mon soleil dit-elle (déjà qu’il n’y en avait pas trop)
- J’ai bien le droit d’être à la plage, dit Mouss’ qui, devant l’assurance de la chatte blanche n’était plus tout à fait sûr de son bon droit.
- Tu t’assieds sur Mon perré, tu te couche sur Mon sable, tu encombres Ma vue.
- Ce sable n’est pas plus à toi qu’à moi.
- Papa paye des impôts pour qu’on ait le droit d’être seuls l’été. Il paye le droit de chaise longue.
Les gens de premier rang s’inventaient des impôts imaginaires se garder une place devant chez eux.
C’est alors qu’un domestique est arrivé
- Si Monsieur veut bien s’en aller
- Monsieur ne partira pas
- Je vais lâcher les chiens
- Les chiens n’ont pas le droit d’aller sur la plage
- Vous y êtes bien, vous les chats, et il y a plus de chiens que de chats sur la plage
- Ils bravent l’interdiction. Vous n’avez pas vu les panneaux.
- Il n’y a pas de panneau devant chez Monsieur !
Il fallait se rendre à l’évidence. Il y a encore des gens qui sont servis. Il y avait du mépris jusque dans la voix du domestique. Cela aurait pu durer longtemps si la petite chatte blanche n’était sortie avec ses parents en portant un lourd panier recouvert d’une toile.
- C’est eux, dit le père en toisant Mouss’ ? C’est « des moins que rien », ils sont de second rang
C’est ainsi que ces gens nous jugeaient. Il est vrai qu’ils portaient des slips de bonne coupe.
Passant le regard hautain, indifférent, transparent, un regard de premier rang comme on le voit faire dans les beaux quartiers quand
les gens dits « de qualité » croisent des gens de banlieue, la famille partit embarquer sur un bateau qu’un marin venait d’amener près de la plage.
- Tu ne crois pas, dit la petite chatte blanche en se retournant, que je vais me baigner dans la même eau que cette pouffiasse.
J’ai voulu bondir sous l’outrage mais le bateau quittait la côte. Pour où ? Un banc de sable où les gens à bateaux seuls entre eux. Il est vrai que le terme de seuls est très relatif. Là, au moins ils pourraient se baigner loin de ces péquenauds avec rien que des gens à bateau.
- Ce ne serait pas la peine d’acheter aussi cher une maison de bord de l’eau si nous devions fréquenter tous ces gens qui viennent poser leur serviettes et leur cul à bronzer jusque chez nous dit la mère..
- Le naturel revient au galop dis-je à ma copine plongée dans sa revue « people » où ne figuraient que des gens de premier rang.
Le vent portait, on les entendait discuter sur le bateau.
- C’est trop nous narguer dit le père
- Je parie qu’ils ne vont même pas à la messe, dit la mère qui n’avait que ça - et le premier rang – pour référence estivale..
- Que diraient nos invités s’ils voyaient tous ces gens-là pique-niquer sur le sable dit le père qui songeait déjà au bon vin qu’il allait boire. Une idée en entraînant une autre, il enchaînait : « Un jour que nous revenions de boire une bonne bouteille sur un banc de sable sous un cagnard terrible, notre voisin a tout renvoyé par dessus bord. »
- Ce vin, finit-il par dire en hocquetant, il était aussi bon au retour qu’à l’aller.
C’est ainsi qu’on s’amuse l’été. Quand on est de premier rang. Encore faut-il avoir un bateau, savoir qui on fréquente et ne pas commettre d’impairs, ce qui est toujours possible, quand les gens n’ont qu’un slip de bain sur eux.
Si je me mettais toplesse dit ma copine.
Les photographies sont de Régine Rosenthal