Mon chat était content, hier soir. Il avait vu le défilé et m’avait arraché la promesse de sortir avec nous..
- Tu es si content de sortir ce soir ?.
- Je veux voir le feu de sacrifice
- On ne dit pas le feu de sacrifice mais le feu d’artifice.
Mon chat, qui n’écoutait plus, se précipitait aux premiers éclatements des fusées. Nous avons failli le perdre tant il se faufilait en vitesse entre les pattes des humains qui nous faisaient obstacle et se précipitaient eux-mêmes vers la jetée d’où partait le spectacle. Nous l’avons retrouvé en première ligne bien installé sur la plus haute marche d’un escalier conduisant à la plage. Tous s’exclamaient et mon chat aussi fort que les autres
- La belle blanche, la belle bleue, la belle rouge, la belle verte.. .
Les gerbes succédaient aux fusées à deux ou trois étages ou plus, la roue aux gerbes unies ou tricolores et la foule en délire criait
comme le font les supporters au cours des matches « Vas-y petit, t’as gagné – ah putain qu’elle est belle celle-là… » Qui n’a pas vu une foule en délire ne peut connaître l’état
d’excitation de mon chat ce soir-là.
La dernière fusée s’éteignit dans un crépitement d’étincelles. La nuit était noire. Les étoiles , au ciel, se rallumèrent une à une, puis les lanternes de la ville.
Ils applaudissaient tous, à l’exception de mon chat
- Tu n’applaudis pas ?
- Je voudrais bien mais comment veux-tu que je claque des pattes avec mes sacrés coussinets? Même les griffes sorties, ça ne fait aucun bruit.
« Ceux qui tricolorent
Ceux qui décolorent… »
Des vers de Prévert chantaient dans ma mémoire.
Je pris mon chat à partie.
- Tu es vraiment content de ta journée ?
- C’était un beau feu de sacrifice
- Je te répète qu’on dit un feu d’artifice.
- On n’artifie rien , on sacrifie la Bastille.
-
Personne n’a jamais sacrifié la Bastille, même de Launay qui a hésité à faire sauter la poudrière. On fête la prise de la Bastille.
- Qu’est-ce qu’on prend ce
soir ?
- Que veux-tu prendre ?
- L’Elysée
- Je me sentis blêmir et après un rapide coup d’œil alentour pour voir s’il n’y avait pas quelqu’un des Renseignements Généraux :
- Viens vite, lui dis-je, on va prendre un verre.
- Un verre ? ça ne mérite pas un feu d’artifice.
- Mais le feu d’artifice mérite un verre.
- Se laissant entraîner en rechignant, mon chat finit par s’installer à la terrasse d’un café pour me dire
- Où est-ce qu’il chante, Johny ?
- Pourquoi veux-tu que Johny vienne chanter un 14 juillet?
- Tu écoutes la radio quelquefois ?
- Quelle raison aurait-il de chanter?
- La tête de Launay, la libération de Sade.
- Et les Suisses..
- On ne parle pas de Suisse devant Johny
- Oui mais Johny chante à Paris.
- Paris, toujours Paris. Est-ce qu’il reste encore de Parisiens à Paris ?
- Bois, au lieu de rouspéter.
Quand mon chat eut sifflé son demi de lait à la grenadine le l’entendis clamer à la cantonade :
- Alors, c’est quand qu’on va guincher ?
Est-ce l’effet de la fête ? Nous avons senti comme une bouffée de débauche franchouillarde.
Photos d'Anrine@ et de Régine Rosenthal