I - Il est venu, l’homme de guerre ; il a revêtu son
armure, il a chaussé ses leggings, il a décroché sa lance, son arc et ses flèches, il a déterré sa kalachnikov, il a enfourché son char d’assaut, il s’est glissé dans son « mirage ». L’homme
de guerre est de tous les pays et de tous les temps. Il a brandi ses poignards d’airain. Il a pris le sentier de la guerre et les foules fuient devant lui. Elles n’ont pourtant rien à faire de
cette guerre. Il y a là des femmes et des enfants. Surtout des femmes avec leurs enfants. Ils sont à pied, souvent pieds nus. Les machines de paix ne les portent plus, leurs chariots sont
éventrés, les chevaux sont étripés, les automobiles aux pneus crevés n’ont plus d’essence. On a basculé dans les fossés ces voitures inutiles. Les foules continuent sans elles. Elles ne se
cachent pas. Elles vont en longues bandes comme vont les fourmis et les chenilles processionnaires. Elles courbent le dos sous les coups et s’affolent à chaque passage en rafale d’avions qui
mitraillent. C’est tout ce qu’elles peuvent faire, courber le dos ou se mettre à plat ventre dans les fossés. Elles fuient. Elles n’ont pas le temps de se nourrir. Avec quoi se
nourriraient-elles ? Les campagnes sont dévastées et les cités sont en feu. Comment s’arrêteraient-elles ? La mitraille siffle autour d’eux. Il court vite l’homme de guerre, campé sur
ses chevaux d’acier.
Les enfants n’accompagnent plus les soldats en battant d’un jouet-tambour. Les filles ne regardent plus les militaires drapés dans de rutilants uniformes. Les femmes n’applaudissent plus les troupes qui défilent. Les hommes qui ne fuient pas ont peur qu’on les dérange dans leurs trafics, dans leurs affaires, dans leurs magouilles. L’homme de guerre est en tenue de combat. Il s’est fardé le visage, il a maculé son treillis, il peut surgir d’un instant à l’autre. Les foules fuient en longues files apeurées, tremblantes, hagardes, hâves, dépenaillées. Elles n’ont qu’une hâte les foules en fuite, c’est d’échapper à la soldatesque, d’aller plus vite qu’elle. Les enfants qui jouent encore à la guerre ont jeté leurs fusils de bois. Ils jouent à enterrer des poupées, ou le petit chat qu’une balle perdue a laissé pour mort sur le bord de la route. La guerre a pris un goût de cendre.