- D’où viens-tu
- De la plage
- Qu’es-tu allé faire à la plage ? Ce n’est pas l’habitude des chats, çà.
- Je
suis allé voir vos chattes.
- Ça t’amuses
- Plus qu’autrefois. Les femmes, naguère, étaient assises sur des pliants ou directement sur la plage. Maintenant, elles sont couchées, allongées sur le sable.
- C’est vrai, nous sommes passés de la civilisation assise à la civilisation couchée. Ce n’était pas la peine que l’homme préhistorique fasse tant d’efforts pour se tenir debout.
- C’est que tes chattes en vacances prennent exemple sur nous. Elles restent couchées tant qu’il y a du soleil. Comme nous. C’est la civilisation chattesque, félinesi tu veux.
- En quoi ça vous ressemble ?
- Regarde comme elles minaudent, mendient du regard quelque caresse à venir.
-
C’est tout ?
- Non : elles s’ étirent comme nous, passent leurs pattes sur leur museau commenous, les passent aussi sur les seins, sur le ventre, sur les cuisses, sur les fesses. Les matous s’en mêlent, ils leur passent la patte sur le dos.
- Elles n’ont pas de griffes ?
- Si, et pour qu’on les voie elles les teignent en rouge vif, en bleu, en violet.
- Elles ne s’en servent pas ?
- Seulement la nuit, en boîte.
- Pas sur la plage ?
- Comment veux-tu te servir des griffes quand tu est couché. A moins que ce soit sur tes genoux ou ceux de ma maîtresse. Elles font patte de velours sur le sable mais…qu’ont-elles à la patte qui leur rend le coussinet si luisant ?
- De la pâte à bronzer.
- A bronzer mais pourquoi y en a-t-il qui sont si rouges ?
- Parce qu’elles se découvrent trop et n’ont pas mis de la crème solaire.
- Et le principe de précaution, qu’en fait-on ?
- Il y a longtemps que je n’ai pas revu de décret de l’Ifremer leur enjoignant de recouvrir les parties de leur corps les plus vulnérables.
- Nous, les chats, nous ne découvrons jamais.
-
Par principe de précaution ?
- Par connaissances innées. Nous connaissons de naissance, tous les dangers de la nature, des orages, des tornades, des éclairs, du tonnerre.
- Mais on nous dit partout que la nature est fragile.
- C’est pour ne pas vous inquiéter qu’on dit ça, pour que vous veniez passer des vacances au bord de la mer.
- Parce que tu crois que le bord de la mer, c’est dangereux ?
- Il y a des vives, des méduses, des boulettes de mazout, des puces de mer…On peut même s’y noyer. Est-ce que tu m’as vu aller me plonger dans les vagues ?
- Remarque qu’eux non plus n’y vont pas tellement.
- Mais ils enlèvent leur pelure.
- Leur pelure ?
- Tu ne vas pas appeler fourrure ce qu’ils mettent sur le dos, ou ailleurs, quand ils en mettent.
-
Excuses moi mais je croyais que tu parlais de la peau qu’on enlève par lambeaux quand on a un coup de soleil.
- Pouah ! Des peaux rouges pelés, tu imagines ce que tu dis ? Pourquoi pas écorchés, ou scalpés tant que tu y es ?
- Au fond, tu vas à la plage pour leurs beaux yeux ?
- Tu les as vus, leurs yeux, ils sont tout noirs. Pourquoi mettent-ils tant de crème à bronzer sur leurs yeux qu’on dirait un masque ?
- Ce n’est pas de la crème à bronzer, ce sont des lunettes noires
-
Vous êtes curieux, vous autres. C’est égal, c’est un beau spectacle que la plage, l’été !
Photographies de Cécile Durand et Régine Rosenthal