Le hasard nous conduit plus habilement que la raison.
Le hasard nous conduit plus habilement que la raison.
Il fut un temps où les îles de nos fleuves descendaient au fil de l’eau
comme nous l’a conté Chateaubriand des îles du Mississipi ou comme on le voit encore faire à celles de l’Amazone. Elles emportaient avec elles plein d’animaux sauvages et de serpents que la vue
des flots affolait. Les hommes les ont conquises, puis abandonnées. Elles sont redevenues désertes sans animaux sauvages ni gros serpents. Seuls leurs bords éraillés témoignent d’anciennes
collisions. Il y a donc très, très longtemps qu’elles se sont amarrées au milieu des fleuves et des estuaires et nul ne se souvient de leur passé d’aventures. Tout au plus parle-t-on encore en
Gironde d’un vieux couple qui avait fait son domaine de l’une d’elles.
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La première fois, tout le village était
là les applaudir, avec la clique venue rendre hommage aux morts de la grande guerre et les majorettes à grand renfort de jambes. La seconde fois, qui était un lundi, il n’y
avait plus que les enfants des écoles à courir derrière eux à la sortie de classe, la « frottée à l’ail[1] » de leur « quatre heures[2] » encore à la main. La troisième fois, quelques personnes attardées à
rentrer chez elles sous une pluie fine qui les transperçait, s’étonnèrent de voir filer cette horde sonnante, aboyante et galopante sous de lourds nuages assemblés. La quatrième, un vieil ivrogne
les aperçut en sortant de l’unique cabaret encore ouvert à une heure indue. La cinquième, l’équipage était fourbu, le piqueur hébété, les habits des cavaliers déchirés. Les femmes avaient perdu
leurs chapeaux emplumés et tous de leur superbe, personne n’étant plus là pour les admirer. Les cuivres ne sonnaient plus depuis longtemps quand ils sont passés pour la sixième fois, dégoulinants
de pluie et de fatigue, les yeux éteints dans de grands cernes violacés. La septième fois, ils disparurent corps et biens dans les rues d’un village qui les avait oubliés.
On ne les revit jamais : ni les cavaliers, ni la meute, ni le renard à la touffe d’argent. Disparus, volatilisés dans la lande, à tout jamais perdus entre les vignobles, les grands pins et les petits bois d’acacias du Bazadais.
C’est depuis ce temps là que les vieux, assis sur le banc devant « l’oustaou[3] » disent à leurs petit fils, les jours où le vent chuinte dans les cimes des pins, tout en levant vers le ciel un index accusateur : « Tu entends, petit, c’est Saint Hubert qui chasse ! »
Les chasseurs furent convoqués un dimanche de novembre à Saint
Magne de Belin. Le notaire et les maître des « Arnauds » qui avaient l’habitude de ces courses avaient chaussé les bottes et revêtu l’habit rouge et la culotte blanche. Les autres
s’étaient dispensé de tout protocole. Il y avait là quelques femmes avec, en amazone, la jeune nièce du notaire de Belin – une personne fort courtisée et venue tout exprès de Bordeaux où elle
habitait. Le piqueur[1] comptait les arrivants. Des chevaux de louage se mêlaient aux autres, que leurs
propriétaires avaient amenés. Les chiens, qui faisaient partie de l’équipage de Me Talbon, dansaient sur place. C’étaient des habitués de ces grandes chasses à courre qui sillonnaient alors la
lande de Cestas à Sanguinet, et d’Hostens à Captieux.
On partit de bonne heure, fanfare au vent, dans l’aboiement des chiens de la meute. Le renard, pris aux environs de La Brède, partit tout aussitôt comme une flèche. Mais au lieu d’aller droit devant lui, il courait comme une lièvre en faisant d’impressionnants crochets et rebondissait aux limites de la lande comme font les boules de billard quand elles touchent à la bande. Et la meute suivait. Et les piqueurs sonnaient. Et la meute aboyait. Et les chasseurs galopaient. On les avait vus à Villandraut, au Moutchic, aux environs de Lesparre, à Sainte Hélène puis à nouveau au Barp, à saint Symphorien, à Caudos, Captieux…La bête, qui ne quittait jamais la Gironde, avait choisi de repasser par saint Magne autant de fois qu’il le faudrait.
- Tu as vu ce qu'il a dit Rictus:
Moi, jem' dirai : Quiens *, gn'a du bon
L'jour où je verrai les socialisses
avec leurs amis royalisses
Tomber d'faim dans l' Palais Bourbon
- C'est pas demain la veille, ils ont refusé de voter l'obole de 10% qu'on leur demandait.
Des histoires de renard, il y en a toujours
eu ici où les poules couchent dans les grands arbres quand ce n’est pas dans un abri aménagé tout en haut d’un « pitey[1] » afin de leur échapper. C’étaient des
renards roux, de l’espèce ordinaire, de ceux qu’on trouvait dansant dans la lande
« Troubi lou renart, lou loup et la lèbe
Troubi lou renart et lou loup dansen [2]»
Celui-ci sortait de l’ordinaire pour deux raisons : on ne l’avait jamais vu auprès d’un poulailler et surtout il avait une touffe de poils argentés dans sa fourrure rousse. C’était – comment dire ? – un renard de collection. Tous les chasseurs en lorgnaient le pelage.
C’est ainsi qu’il fut décidé, en leur assemblée de « cassaïre[3] », à une majorité jamais atteinte par une assemblée politique, de courir cet animal hors normes que chacun s’accordait à trouver diabolique.
Photo Régine Rosenthal
La musique des rails.
Comme les canons, les violons ont une âme mais l’âme des violons, crispante et douce de cordes tendues enferme l’âme du mélomane dans un rêve doux-amer aux sonorités de tendresse et d’amour, de départs et déjà d’oublis. Comme les violons les trains ont leur corde, d’acier tendu sur lle ballast et leurs pontets sur les rivières ; La musique des trains, c’est un peu la musique des rails dans la caisse de résonnance des wagons quiets et doux des grands voyages d’autrefois parcourant le silence des campagnes que le train déchirait déjà de sa vitesse et poudrait encore de ses bouffées de fumée noire ou de ses pouffées de vapeur blanche.
C’était hier. Le train roulait sur des rails bien parallèles se rejoignant à l’infini dans le scintillement que le soleil met au-dessus des ballast surchauffés. Les voyageurs écoutaient les yeux mi-clos une musique intérieure qui s’accordait au rythme du train, un rythme lent comme une berceuse que traverse parfois le staccato des croisements de trains. C’était avant les baladeurs qui sont la mise en boîte des baladins d’un monde extérieur et vain.
Le train n’est plua celui que l’on rêve : le train n’est plus ce train ancien aux airs très doux, aux voies lointaines. Les enfants ne s’y trompent pas qui ne dessinent jamais que les trains d’autrefois, des locomotives anciennes qui sont toujours les archets nostalgiques des cordes ferroviaires.
- Où vas-tu Mije?
- Je sors ;
- Et <qu’as-tu avec toi ?
- Un panier de yoplait que je porte à la maîtresse de maison
- Tu crois que ça lui fera plaisir
- Ils le disent qu’oui à la télé et c’est rien que des gens « chic »
- Tu en connais beaucoup de maîtresses de maison qui ont reçu du yoplait en guise de chocolat ?
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On ne le découvrit que bien plus tard entre Arcins et Soussons, coincé entre une racine d’arbre et un vieux filet sous l’écume des flots, tout noir de peau avec sous les ongles et dans les cheveux des moutons de cette vieille poussière qu’ont les bouteilles vénérables de nos chais. Soupçonnant quelque diablerie, les habitants de son village l’enterrèrent au plus vite dans une tombe aujourd’hui perdue.
C’est ainsi que disparurent le même jour le SOS d’un pirate, un jeune garçon amoureux du fleuve impassible et les repères d’un vieux trésor.
Il faudra que je le montre à un archiviste songeait Pierre en clignant des yeux sur un texte qui se dégageait petit à petit des brumes d’une étrange
fumée. Il distingua le jolly roger. : « Un pirate, dit-il »
Un point fantomatique et quelques détails sur une île perdue de l’Atlantique apparurent ensuite, puis une carte et l’indication d’un trésor dont il put lire l’inventaire précis qui figurait sur le rouleau. Une signature surtout fixait son attention et faisait lever en lui une terreur inconnue. Il connaissait le graphisme : Pierre D… : sa signature comme un trait de feu au bas du document. Il en ressentit un choc suivi d’un malaise. Ce n’est que lorsqu’il eut replié soigneusement le parchemin luisant de crasse et d’années, qu’il l’eut introduit dans la poche secrète de son vêtement, qu’il est tombé face à l’eau, le nez dans la vase.
Photo JC Lauchas