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Mon chat a rencontré Gargantua sur le Bassin d'Arcachon

_0419.jpg-          Je ne t’ai pas vu avant-hier, où étiez-vous passés tous les deux

-          Nous étions à Rat-à-Plat

-          Rat-à-plat ?

-          Oui les archives du 1 tiens, 2 tu l’or-rat

-          Et tu as trouvé ton bonheur ?

-          Oui j’ai retrouvé la date exacte et les raisons de l’arrivée de Gargantua sur le Bassin. Vois plutôt :

 

Comment Gargantua en vint à se curer les dents avec un pignot[1]

et décida de rester au pays

 

 

Après qu’il se fut éveillé, étiré et frotté les yeux dans le lit de Leyre, Gargantua ne vit rien, n’entendit rien, ne comprit rien tant était épaisse l’escalumade[2] et profond le silence de la lande où ne se plaisent que les bécuts qui sont les sorciers.

« Holà marauds » dit-il pour exercer ses poumons et savoir s’il était toujours en vie. Mais de marauds il n’en vint point, ni personne d’autre d’ailleurs, comme si le bécut les avait tous fait disparaître dans son antre. Écœuré de n’avoir point d’écho dans ce pays de sable où même le bruit des charrettes ne s’entend pas, après avoir champouillé[3] au droit de Malprat[4] comme font les gamins dans l’eau des flaques d’eau, il partit vers l’ouest où persistait un grondement qui lui parut de bon augure car il savait qu’en bord de mer il y a toujours plus de personnes qu’ailleurs et, pour ne pas se perdre en chemin, prit le sentier de l’estey qui prolongeait Leyre. Après qu’il eut marché dans les chenaux du Teich, de Gujan, du Passant, il s’est trouvé dans le Teychan[5]. L’eau qu’il n’avait qu’aux chevilles dans Leyre, lui montait sans qu’il s’en aperçusse aux jambes puis aux cuisses. Quand il eut de l’eau jusqu’à mi-ventre, tout étonné, il s’assit sur le Grand banc[6] pour son bain de siège matinal.

Les géants ont ceci de particulier que les bains de siège leur ouvrent l’appétit. Heureusement pour lui qu’il y avait à portée de sa main un palet[7] que des marins s’apprêtaient à visiter. Il se saisit des filets et mit tout dans sa bouche, poissons crus comme on le fait de sardines au pays, soles et bars et mulets et filets avec leurs gourdes et les pierres de lest. Tout y passa, même qu’un matelot faillit s’y laisser prendre. Quand il eut bien digéré et vu les ravages qu’il avait causé au travail des pauvres pêcheurs, il se saisit d’un pignot pour réparer le mal. Le pignot avait été apointé et il sentait quelque chose de lourd du côté de sa dent creuse. Voilà, pensa-t-il de quoi curer ma dent malade. Farfouillant dans le creux carié d’une molaire il en sortit incontinent le filet, un dormeur bien installé au chaud et qu’il prit pour un coléoptère tant était dure sa carapace et un congre qu’il eut beaucoup de mal à déloger. Après s’être rincé la bouche à force gargoullis d’eau salée il se leva sur le banc qui s’était découvert entre temps.

Sans qu’il prit davantage le temps de s’étonner de ce prodige qu’est la marée, il perçut dans la brume qui maintenant s’effilochait des barques à voiles et à rames, et des indigènes, des hommes et des femmes qui venaient prier la Vierge que Thomas l’Illyrien[8] avait recueillie au cours d’une tempête précédente.

Des tempêtes il y en avait eu beaucoup dans le pays, des tourmentes à vous dévisser des mâts de galéasses, des vents à faire monter le flot mais jamais au grand jamais de ces dégâts irréversibles sur le seul Grand banc. Quand les fidèles furent entrés dans la chapelle, il enjamba le Teychan pour voir à travers les ouvertures de ce bâtis de garluche[9] quel étrange sabbat pouvait s’y dérouler. Il eut la double surprise de voir que ce n’était point un sabbat et d’apercevoir ses serviteurs vautrés sous les tamaris de la plage qu’ils étaient bien les seuls à fréquenter en cette saison.

Après qu’il les eut repris en main et s’être séché à un bon feu de bois allumé aux galips[10], usage qui a donné son nom à la forêt usagère[11], Gargatua but son saoul d’un petit vin d’aramon et, jetant un coup d’œil circulaire sur la mer, la terre, le soleil qui perçait enfin l’escalumade, fit dételer les charrois que ses serviteurs, tout penauds d’avoir été surpris à ne rien faire, s’étaient empressés de préparer pour se faire pardonner.

Tant de mystères paradisiaques l’incitaient à  rester en ce pays qui l’avait ensorcelé.

 



[1] Jeune tronc de pin coupés lors de l’éclaircissage de la forêt et ensuite épointé por être plante dans le Bassin etr servir de support aux palets, de barrière aux parcs, de repères aux croisements de chenaux…

[2] Brume de mer

[3] trépigné des pieds dans l’eau.

[4] Ile du delta de Leyre

[5] Chenal qui contourne le cap d’Arcachon

[6] Banc de sable attenant à l’île aux Oiseaux, face à Arcachon.

[7] long filet vertical tendu sur des piquets pour prendre le poisson qu’on vient dépendre à marée descendante.

[8] Moine franciscain fameux qui, en trois mois de 1616 a trouvé le moyen de recueillir une Vierge d’albâtre sur le banc du Bernet, de construire une chapelle pour l’abriter et d’y faire venir en procession tous les habitants du Bassin.

[9] Pierre ferrugineuse dérivée de l’alios et qui sert de pierre de construction dans  la lande.

[10] Copeau résineux dérivé du gemmage du pin (quand il était gemmé au hapchot)

[11] forêt de La Teste, confiée en 1648 par le captal de Buch à ses sujets.1-copie-12.jpg

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L
<br /> ;-)<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Vous avez lancé l'épervier mais Gargantua a d$u vous échapper. Comme nous disons ici, il est passé "mar maille"<br /> <br /> <br />
L
<br /> Bonsoir Charles,<br /> <br /> Il y avait un moment que je n'avais mis un petit Comment's... mais j'ai tout lu !<br /> Rien à dire sinon que c'est toujours aussi bon et plaisant à lire.<br /> C'est un peu de parfum dans l'acidité de la vie...<br /> A bientôt.<br /> Stéphane.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Merci. Un peu acide, c'est tout. Disons plutôt acidulé.<br /> <br /> <br />
R
<br /> Comme ça fait des années que je n'avais pas relu Rabelais, je suis ravie d'en retrouver un extrait ici.<br /> Bon dimanche à vous Charles<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Ce n'est pas tout à fait Rabelais mais il y a de la chattemitte<br /> <br /> <br />
Q
<br /> Eh bien... Je vois que vous avez bien travaillé.<br /> <br /> J'aime bien ces archives où vous avez passé votre journée hier !<br /> <br /> Bonne fin de semaine, Charles.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> C'est l'odeur des archives que j'aime bien.<br /> <br /> <br />