- Brr… Qu’il fait froid ! Ce n’est pas un
temps à mettre un chat dehors.
- Un chat non, mais un homme ?
- Un homme çà se défend, çà a un toit du feu, des tapis, des fauteuils…
- Des squats, des dessous de ponts, des dessous d’autoroutes, des morceaux de chaises.
- De fauteuils, tu veux dire ?
- Non, de chaises. Un enfant m’a dit un jour qu’une maison de riche c’est là où il y a un fauteuil.
- Tu exagères toujours.
- Non. Il y a des hommes qui n’ont que çà, des squats, des ponts, des trottoirs, des asiles.
- C’est le scandale de notre société.
- Mais j’aime bien les squats, les ponts, les cimetières, pas les dessous d’autoroutes qui font trop de bruit.
- Il y a des hommes qui s’en contentent parce qu’ils n’ont rien d’autre.
- Ne me parle pas de la crise.
- Non, c’est pour eux une crise permanente qui n’a ni commencement ni fin.
- Et s’ils travaillaient ?
- Il y a ceux qui veulent être solitaires, ceux qui ne peuvent pas faire autrement, ceux qui ne veulent pas travailler, ceux qui le voudraient bien mais ne trouvent pas de travail, ceux qui viennent d’être chassés parce qu’on n’a plus de travail à leur offrir.
- Mais on me dit qu’il y a du travail et qu’on ne trouve pas d’ouvrier.
- Il y a tout çà, mais ce n’est pas toujours aussi simple.
- On a pris ces cas l’un après l’autre ?
- Non, on mêle tout parce qu’il ne faut dire de mal de personne et que, comme çà, on ne nous en voudra pas de ne rien faire.
- Mais si des hommes occupent nos espaces, que nous restera-t-il, à nous ?
- Des fauteuils, des croquettes, des placards, des dessous de couvertures…
- De quels droits ?
- Du droit que nous avons de partager notre espace social avec nos maîtres.
- Parce que nous les flattons de nos ronrons…
- Et les pauvres, ils ne partagent pas les pensées de nos maîtres ? Ils ne ronbronnent pas, les pauvres ?
- Ils ne partagent rien. Ils ne disent rien.
- Pourquoi ?
- Parce qu’ils sont pauvres, qu’ils n’ont rien, qu’ils ne veulent rien partager.
- S’ils n’ont rien, je comprends qu’ils ne veuillent rien partager.
- Ils ne partagent pas parce qu’ils sont solitaires.
- Que veux-tu, la solidarité, c’est le partage… Et la solitude.
- Çà s’attrape, la solitude ?
- On peut dire çà.
- Ceux qui ne partagent rien, ils sont forcément solitaires ?
- S’ils ont beaucoup d’argent, de pouvoir, d’entregent, ce qui est un peu la même chose, ils sont très entourés, tu sais.
- Entourés, c’est le contraire de solitaire ?
- Pas toujours.
- Je crois que le froid engourdit ta pensée.
- Alors laisse moi dormir.
- Le sommeil, c’est le début de la sagesse.
- C’est parfois aussi le début de la fin.
« Fait’s qu’un gas qui meurt de misère
Soye pus qu’un cas très singulier
(C’est-y qu’on n’ pourrait pas s’entendre !)
Donnez-nous l’poil et la fierté
Et l’estomac de nous défendre…
Et ne nous laissez pas succomber à la tentation
(Jehan Rictus , Le Revenant in Le Soliloque du pauvre)