- Alors, tu l’as revue, l’expo ?
- Oui
- Et tu l’as apprivoisée
- Difficilement
- Pourtant elle est belle et accueillante
- Accueillante ? Tu as vu le coq ?
- Quel coq ?
- Celui que madame Chatignol a mis pour m’accueillir
- Dis plutôt que c’est pour te réveiller parce que ce n’est pas le genre de Madame Chatignol de recevoir les gens bec et ongles sortis. Elle a dû avoir peur de toi.
- Sûrement, parce qu’elle n’a jamais fait de chat.
- Tous les propriétaires de volières se méfient des chats. Regard plutôt le jardin secret, ce « comprimé du goût » comme elle dit
- Tu crois qu’elle va m’y laisser
monter ?
- Si tu promets de ne pas toucher aux oiseaux.
- Autrement ?
- Elle a plein de vases, de tiroirs à secrets, de boîtes secrètes, de fermetures inviolables et tu risques de passer le restant de ta vie enfermé dans une de ses œuvres.
- Le tombeau du chat
- Elle ne veut pas ta peau, tu sais
- Ça, je ne sais jamais ce que vous allez inventer, vous, avec votre cerveau tordu
- Cerveau tordu
- On ne t’as jamais montré à l’école les circonvolutions du cerveau. C’est avec ça que vous avez inventé les instruments de torture.
- C’est elle-même qui se torture quand elle façonne, polit, caresse la terre qui prend forme.
- La main et le cerveau, c’est lié
- Oui mais c’est le feu qui fait cette insoutenable couleur rouge qu’elle expose.
- Insoutenable
- Je dis ça comme ça parce que c’est une couleur unique, une couleur jamais vue qu’elle maîtrise parfaitement.
- La couleur du diable.
- Je me demande si tu ne lui fais pas particulièrement plaisir en parlant de l’art du diable. N’est pas diabolique qui veut.
- Je le sais bien car c’est nous, les chats noirs accompagnateurs des sorcières en croupe sur leurs balais de pleine lune pour nous rendre au sabbat qui sommes démoniaques. Elle ne l’est pas.
- Que serait-elle donc ?
- Rapproche-toi : je la sais magicienne, reine des lutins du feu et les marmitons de la glaise, magicienne comme Circé. Elle a pour baguette le tour du potier, pour marraisne le feu, pour marmitons les porteurs de calcite et de pyrite.
Souviens toi de ce que tu écrivais sur elle , naguère :
La main fait la forme, le cuivre la couleur. Il y a de la provocation dans la sublimation du métal dont la fantaisie crée le calme ou le tourbillon selon l’inspiration du feu.
Ces images ne seraient rien sans la magie de la potière qui leur donne vie, sans le coup d’œil qui règle le four. Les Crétois ne faisaient pas autrement qui nous donnaient ces images sacrées qui ont traversé les siècles.
Toutes ces céramiques sont de Nicole Chatignol