- Alors, combien de livres as-tu signé à ce salon ?
- Huit, dix en trois jours... Tu sais, Mouss’, on ne vas pas à un salon spécialement poutr signer ?
- Et pourquoi y va-t-on ?
- Pour rencontrer ses lecteurs.
- Tu en as rencontré combien ?
- Une bonne trentaine ?
- Ils venaient tous pour acheter, je suppose ?
- Oh, non, autrement j’aurais mis un petit mot. Ils venaient un peu par habitude. Çà fait une sortie en fin de semaine quand on n’a pas de bateau sur le Bassin d’Arcachon.
- Je suis venu, tu sais, et tu ne m’as pas vu.
- Si tu es venu, qu’as-tu vu ?
- Des auteurs qui somnolaient sous la tente, d’autres qui cherchaient à accrocher les passants comme font tous les racoleurs, bateleurs des jours de solde ou marchands de tapis, d’autres qui se figeaient devant leurs livres avec la moue méprisante des auteurs à succès qu’on ignore, sans compter ceux qui se levaient de temps en temps pour se gonfler avec l’air de dire : je suis là, vous savez, venez voir mes derniers écrits…
- Ce sont les cris de salons !
- Et les auteurs, ils ne crient pas ?
- Non, ils attendent qu’on les reconnaisse. Ces salons seraient silencieux s’il n’y avait la foule.
- J’ai vu, je me suis glissé avec elle. Tu sais ce qu’elle fait la foule ?
- Elle cherche les nouveautés.
- Mais non elle pousse, la foule, elle pousse ceux qui sont devant eux.
- C’est pour çà qu’elle ne peut pas s’arrêter devant nos livres, la foule.
- Quel est le meilleur moment d’un salon ?
- L’inauguration.
- Pourquoi l’inauguration ?
- Parce que Juppé est passé entouré d’une nuée de gens qui tournaient autour de lui comme des mouches autour d’une mule qui sent l’important.
- Qu’est-ce qu’il a fait Juppé ?
- Il est passé, la tête haute en souriant avec l’air de Louis XIV bénissant ses sujets qui cherchaient à lui serrer la main.
- Et qui c’étaient les gens qui passaient avec lui?
- Des importants !
- Ils cherchaient un livre, je suppose
- Non, ils étaient là pour se montrer autour d’un important
- Mais puisqu’ils sont déjà importants ?
- Eux ce sont des importants de l’ombre. Pour une fois qu’ils étaient à la lumière.
- La lumière ?
- Oui on a rallumé les lumières quand ils sont arrivés.
- Il n’y a pas d’autres temps forts ?
- Si, la salle d’accueil où il y a le café et le jour de réception où il y a des petits fours.
- C’est là que les auteurs se rencontrent ?
- Non les auteurs ne se rencontrent pas, et puis ils n’ont pas le temps pour le cas où il y aurait quelqu’un qui viendrait sur leurs stand. Ils n’ont pas le droit d’être absents, les auteurs.
- Qu’y a-t-il alors dans ces salles de café ou aux réceptions de la Mairie ?
- Tous les pique-assiettes de salons
- Si j’avais su, dit Mouss’, je serais bien allé les voir s’écraser autour du buffet. J’aurais ramassé quelques miettes, je suppose.