- Tu vois, dit Mouss’ la façade de cette école est ancienne ; on désire la conserver au titre du patrimoine.
- Qui, on ?
- Ceux qui répertorient les monuments à classer.
- Cinquante ans, c’est assez ?
- Pour savoir ce qui se faisait avant nous, oui.
- Mais l’hôpital que tu m’as montré tout à l’heure, il ne doit pas être détruit ?
- Si, il est obsolète.
- Il est si vieux que çà ?
- Oui il a trente ans d’âge.
- Je ne comprends pas, dit Caramel, plus futé que ce que Mouss’ pensait : trente ans, c’est obsolète et cinquante digne d’être conservé ?
- Bien sûr.
- Comment connaîtra-t-on le style des années 70-80 si on détruit les monuments de l’époque avant qu’ils aient cinquante ans ?
- Ces années-là ne nous intéressent pas.
- Et si elles m’intéressaient, moi ou mes enfants ?
-
Je t’assure que çà n’en vaut pas la peine. Tu peux me faire confiance, non ?
- Caramel n’aime pas qu’on lui impose une confiance qu’il n’accorde pas à priori. Il continue : « et notre maître, qui a trente ans de plus que ta façade, il appartient au patrimoine ou aux vieux déchets ».
- Voyons, ne parle pas comme çà. C’est vrai qu’il est obsolète.
- Pourquoi ? 30, obsolète, 50, à conserver, 80 vieux croûton. Je ne comprends vraiment plus.
- La courbe de la vie fait des sinusoïdes.
- Des sinusoïdes, qu’est-ce que c’est que çà ?
- Des ondulations.
- Comme la mer ?
- Si tu veux.
- Tu es en train de me dire que la vie fait des vagues ?
- Tout à fait. Tu as l’avant-guerre, le temps de guerre, les trente (dites) glorieuses, la décolonisation, la chute du mur, les héros de 68, les milliardaires qui nous viennent de l'est par communisme interposé, le temps des traders, la chance des Madof, les lendemains qui déchantent…
- Et rien qui enchante ?
- Si la généalogie, l’histoire, le patrimoine… Tout ce qui fait rêver.
- L’histoire et le patrimoine, c’est pas pareil ?
- L’histoire est faite par nos ancêtres, le patrimoine pas forcément
- Comment donc ?
- La hutte gauloise, c’est de l’histoire, même si nous sommes venus d’ailleurs récemment ; le blockhauss, qui a été construit pas les Allemands, c’est du patrimoine français.
- C’est ce qu’on appelle la fraternisation.
- Même si elle a commencé autrement.
-
Au fond, le patrimoine, c’est ce qu’on visite le jour du patrimoine ?
- Une peu, oui.
- Mais, dis-moi : pourquoi ne conserve-t-on que les façades ?
- Parce que les arrières sont pourris depuis longtemps.
- Comme chez notre maître alors ?