C’était aux temps déjà lointains où la forêt recouvrait le
plateau de Benauge. Les seuls à y vivre étaient les moines qui venaient d’y élever l’abbaye de La Sauve[1] comme un hymne à la nature, au silence, à la
liberté. On venait d’y bâtir Créon[2] une bastide construite contre les hommes et les loups. Ils se retrouvaient
quelquefois dans les immenses souterrains creusés à même le coteau où les puits profonds de quarante mètres et plus ont des fenêtres qui s’ouvrent sur des galeries et ce, rien que pour échapper à
la soldatesque qui lorgnait le château de Benauges. C’est ainsi qu’après une alerte un peu plus longue, un peu plus dure que les autres, une femme sortit du souterrain avec
deux bébés loups qu’elle prétendait nourrir à la mamelle.
Des louves nourrissant des hommes, nous en avons connues depuis la fondation de Rome jusqu’à la découverte d’enfants-loups dans les Indes britanniques. Mais des loups nourris par des femmes, on n’en avait jamais entendu parler et les généticiens d’aujourd’hui sont formels ; jamais oncques loup ne naquit de femme. Celle-ci ne prétendait d’ailleurs qu’à les nourrir. Ce n’est pas ainsi que l’entendirent ses compagnons d’infortune qui lui fermèrent les portes de Créon.
(à suivre)