Des siècles et des siècles après l’île portait toujours la marque de la
princesse Aurore (presque toutes les princesses se nomment Aurore). Il ne se passait pas un matin sans que brillent des milliers de fils de la Vierge dans les herbes et les joncs du bord de
l’eau, pas un jour sans que la marée vînt porter à l’île le soupir de l’Océan, pas une semaine sans que quelque poisson voyageur ne vienne alimenter les repas des habitants, pas un mois sans
qu’on y chante le passé – ce que l’on considère ici comme la meilleure préparation du futur. C’est pour cela que les îles sont différentes de la terre ferme. Il est vrai qu’en ce temps là les
gens voyageaient peu – même l’été qui est la saison des travaux : les foins, la moisson, la préparation des vendanges occupaient leurs loisirs.
Un jour vint pourtant où il y eut beaucoup de bruit de l’autre côté du fleuve. Les historiens appellent çà une émeute ou une révolution. Des hommes de la ville ont voulu voir ce qui se passait dans les îles. « C’est des aristocrates disaient-ils, c’est des ci-devant ». C’est comme cela qu’ils les appelaient parce qu’ils ne demandaient rien d’autre que de vivre tranquillement loin des bruits de la ville. Ces étrangers parlaient beaucoup et parler leur donnait soif d’autant plus qu’étant étrangers ils se réunissaient dans ces auberges où l’on parle haut et fort. Un jour qu’ils avaient bu plus que de raison, ce qui est beaucoup, -en tout cas beaucoup trop -ils ont détaché une barque de pêcheurs pour venir dans l’île. Ils avaient compté sans la petite princesse et son origine étrange.
Photographie J.C.Lauchas