Tandis qu’ils
approchaient de l’île sans nom un serpent jaillit de l’onde bouillonnante. Il s’est dressé, énorme, a gonflé son cou, ouvert une gueule rouge d’où est sortie une langue fourchue comme la queue du
diable avant de tourbillonner comme une trombe au-dessus des eaux de la rivière et de s’abattre d’un coup sur la barque qui disparut avec lui. Même les pêcheurs de pibales pâlirent au récit qu’en
firent les rares témoins qui avaient vu de la rive d’en face le phénomène qui n’avait, je vous l’assure, rien de naturel.^
Les gens de la ville, qui sont pleins de certitudes, ont parlé de superstitions. Ils en voient partout et, comme ils n’aiment pas reconnaître leurs erreurs, surtout quand elles leur apparaissaient comme des défaites, ils envoyèrent à l’île une frégate qui rentrait à Bordeaux après avoir fait le tour du monde. Elle disparut corps et biens dans les tourbillons de l’estuaire.
Les pêcheurs de Gironde y virent fort justement la vigilance de la petite princesse qui devint la protectrice de tous les pêcheurs de la Gironde qui sont, de par leurs comportements, de véritables aristocrates. Les derniers habitants de l’île, qui ont peut-être inventé cette histoire, ont disparu comme ont disparu tous les aristocrates de tous les pays du monde depuis qu’il n’y a plus personne pour s’intéresser aux îles, rien que des enfants qui en rêvent la nuit et savent encore en faire, le temps d’une découverte, un royaume pour leurs jeux d’enfance.
Photo Régine Rosenthal