- Alors, tu es toujours vivant ?
- - Je ne suis pas suicidaire, moi.
- Le Directeur de France-Télécom a dit que le suicide était une mode
- Mais je n’ai jamais suivi la mode. Les employés de France-Télécom non plus. Qu’est-ce qu’il attend pour la suivre, lui qui en parle si bien ?
- - Si ce n’est pas une mode, c’est quoi, alors ?
- Une autre façon de travailler, peut-être.
- Un sociologue a dit à la télé que c’est parce que les employés sont passés de l’état de fonctionnaire à l’état de travailleur normal.
- Il n’a jamais dû été fonctionnaire…
- Ni travailleur normal
-
Mais c’est normal que pour en parler, on fasse appel à quelqu’un qui n’a été ni fonctionnaire ni travailleur : on parle toujours mieux de ce qu’on ne connaît
pas.
- Pourquoi ?
- On ne voit jamais rien quand on est dans l’action. Regarde Fabrice des Dongo il n’a rien vu de la bataille de Waterloo alors que les historiens en parlent si bien.
- Oui mais les employés de France-Télécom voient bien qu’ils ont la maison à payer, les traites à honorer et qu’on veut les délocaliser.
- Délocaliser, qu’est-ce que ça veut dire ?
- C’est un nouveau mot qui veut dire déplacer, envoyer loin de chez soi, de son local, si tu veux. Mais je te rasure, on ne fait rien sans un plan social.
- Un plan social qu’est-ce que c’est ?
- L’organisation du renvoi des inutiles
- Pace qu’il y a des inutiles à France Télécom ?
- Il y en aura
- Pourquoi ?
- A cause du progrès.
- Je croyais que le progrès c’était l’harmonie dans le travail comme dans la vie.
- On ne peut pas créer l’harmonie pour tous
- Pourquoi donc ?
- Parce que c’est contraire au profit
- Le profit pour qui?
- Pour la société. Les temps sont durs, il faut se battre. La concurrence est rude.
- Qu’est-ce qu’on demande aux employés qui restent ?
- De devenir des conseillers battants.
- Mais ils ont toujours été des conseillers
- Oui mais, autrefois, ils donnaient des conseils, maintenant ils doivent amener des clients
- Ce n’est pas pareil ?
- C’est diamétralement opposé. . Ils faisaient leur travail en conscience, maintenant ils ont parfois des remords d’avoir entraîné des clients là où ils ne voulaient pas aller.
-
Se battre, comme tu dis, c’est quoi, pour le PDG ?
- Éliminer ceux qui vous ont aidé jusqu’alors, ceux qui ont fait du téléphone ce qu’il est devenu, ceux sans qui l’entreprise n’aurait pas perduré … mais qui ne veulent pas comprendre pourquoi on les sacrifie. On dit que c’est nécessaire.
- Qui, on ?
- Ceux qui aiment les combats de sociétés comme on aime les combats de coqs.
- Qu’est-ce qu’on leur demande ?
- De réfléchir à l’avenir des sociétés qu’ils dirigent.
-
Qu’est-ce que ça serait s’ils ne réfléchissaient pas ?
Photographies de jean Nogrady