- Regarde, dit mon chat, ce que j’ai trouvé dans
un vieux journal
- C’est quoi, çà ?
- Une lettre de lecteur. Ecoute ce qu’elle dit : "Autrefois, avant la construction des immeubles, je voyais le Bassin… La rue n’est plus bourgeoise…" Tu te rends compte que c'est de notre rue qu’elle parle.
- Qui t’as donné ce torchon?
- La petite chatte du premier rang
- Ah ! tu l’as revue!
- Oui
- Et pourquoi t’as-t-elle donné ça
- Pour me montrer qu’il n’y a pas qu’au premier rang qu’il y a des snobs.
- Il y a ceux qui cherchent les imiter.
- Si elle ne voit plus le Bassin, tout est perdu.
- Elle n’a qu’à mettre un périscope.
- Et pourquoi la rue ne serait-elle plus bourgeoise ?
- Parce qu’il y a des co-propriétés et des locataires...
- C’est interdit ?
- Non mais ça fait tâche.
- y a-t-il encore des bourgeois dans la rue
- Eux
- Ils ont un vieux domestique de famille ?
- Non mais des prétentions de vieille famille
- C’est grave ça. D’autant plus que ça risque de réveiller d’autres prétentions. C’est ta chatte qui t’as dit ça et qu’ils veulent couper les arbres de la rue. Pourquoi t’a-t-elle?dit tout ça ?Et pourquoi à toi?
- Parce qu'elle m’aime bien.
- Elle a bien voulu te parler ?
- Elle est large d’esprit au contraire de son papi qui, lorsqu’il passe à bicyclette, mesure la profondeur de son salut à l’estime qu’il vous accorde.
- A bicyclette ? Même Mauriac dans Préséances, n’a pas pensé à la bicyclette.
- Elle n’était pas encore tendance à l’époque. C'est lui qu'on voit passer dans notre rue.
- Il ose passer devant chez nous?
- Bien sûr, sa rue est à sens unique.
- Et que t'a-t-elle dit d'autre, ta petite chatte?
- Qu'elle m’aime bien et que je suis un beau gosse de chat. Qu’entre jeunes, on n’a rien à faire des différences sociales. Elle a un peu tiqué
quand elle a su que j’habitais la rue derrière et que je n’avais pas de bateau mais elle a bien voulu de moi quand même dans son groupe.
- Elle est bien contente de s’arsouiller un peu.
- Le problème c’est qu’elle s’en va demain.
- Elle est de Bordeaux.?
- Tu ne voudrais pas ? Elle est de Caudéran. Elle habite du côté de chez l’oncle Félix. De l’autre côté du Boulevard, je crois.
- Elle ne t’a pas donné son adresse ?
- Non
- Son numéro de portable ?
- Non plus.
- Qu’est-ce qu’elle t’as dit ?
- « A l’année prochaine ».
- Ne pleure pas. C’est la marque de toutes les grandes amours…de vacances.
Photographies de Régine Rosenthal