Mon chat vise l'Université

-         Mon chat a un cousin qui vient d’entrer à l’Université.  

-         Il est content ?

-         Tout à fait. Il s’est fait de bons copains et de bonnes copines. Même qu’il est tout enroué et qu’il a mal aux pieds

-         Il est en section gymn ?

-         Non, il est en section tout.

-         C’est nouveau, ça

-         Oui, cette année, tout est confondu : les années, les matières, les profs et les élèves.

-         Et qu’a-t-il appris en section tout ?

-         A faire des manifs, préparer des pancartes, parler au mégaphone, organiser des réunions sauvages, rédiger des tracts, monter sur les toits, miauler des slogans depuis les gouttières de l’Université…

-         C’est une tradition, ça. Déjà au Moyen-Age, les étudiants portaient des bottes de pailles pour s’asseoir dans des classes surchargées et y mettre le feu dans les manifs.

-         Nous, on n’a pas de paille mais on a avec nous des éléments extérieurs qui brisent quelques vitres et brûlent quelques voitures.

-         Des éléments extérieurs ?

-         Ceux qui ne sont pas inscrits à la Fac.

-         Parce qu’il faut s’inscrire à la fac pour pouvoir manifester ?

-      Il faut le bac au moins.   … Dis-moi : ils manifestaient contre le gouvernement au Moyen-Age ?

-         Pas exactement : ils manifestaient contre tout et surtout contre les bourgeois et les profs avec eux.

-         Qu’est-ce qu’ils leur avaient fait les bourgeois ?

-         Rien. Qu’est-ce qu’il vous a fait le gouvernement ?

-         Rien. Il veut nous empêcher de travailler.

-         Encore la loi des trente-cinq heures !

-         Non, tu n’y comprends rien. Il faut être à la fac pour comprendre et pour être à la fac, il faut avoir son bac.

-         J’ai mon bac, tu peux m’expliquer.

-         Nous ne voulons plus de mandarins.

-         Je croyais que vous aviez les mandarins avec vous.

-         Mais nous ne voulons plus des mandarins comme il y en avait de ton temps quand ils étaient toujours en mission et que vous attendiez pour avoir cours..

-         Parce qu’ils ont été remplacés par d’autres mandarins ?

-         Ça n’aurait pas été la peine de faire 68 si on n'avait pas changé de mandarins.

-         Et vous ne voulez pas attendre ?

-         Nous voulons que les profs attendent que nous ayons fini de manifester pour nous faire cours..

-         Que voulez-vous au fond ?

-         Des places dans toutes les Universités. Des petits boulots pour subsister, des logements pour résister au froid. Des bibliothèques pour ronronner au chaud.

-         Comme au Moyen-Age ?

-         Tu m’ennuies avec ton Moyen-Age. Nous voulons des universités modernes, des enseignants-chercheurs qui cherchent des étudiants, des options qui valorisent ceux qui les réclament et pas ceux qui les professent, des professeurs qui disent autre chose que ce qu’ils savent, des examens qu’on puisse passer les griffes dans le nez quand on revient d’une manif, des bacs à plus, plus, plus où l’on puisse gratter pour avoir les meilleures places…

-         Et que fais-tu des grandes écoles ?

-         Des snobs. Tu as vu l’autre jour, à la télé : ils vont chercher les défavorisés, qu’ils disent, pour leur apprendre les codes,

-         Il faut des codes dans la vie.

-         Pour conduire, oui, mais que veux-tu que je fasse des codes autrement. Il vaut mieux un bon carnet d’adresses.

-         C’est justement pour ça qu’il y a de grandes écoles. On a de sacrés carnets d’adresses quand on en sort.

-         Et que faut-il faire pour sortir d’une grande école ?

-         Il faut y entrer.

Abassourdi par une telle logique mon chat s’est dit qu’il allait attendre d’en savoir un peu plus sur les réformes pour s’inscrire à l’Université.









Les photographies sont d'Antine et de Cécile Durand