- Alors, ces trous de Spérone, les plus beaux du monde, comme tu
dis ?
- Tu veux vraiment que je t’en parle ?
- Depuis le temps que tu me serines avec ça
- Ce sont les plus chers du monde
- Tu payes, toi, pour des trous de souris
- Ce ne sont pas des trous de souris, ce sont des trous de golf.
- Pourquoi sont-ils si chers
- Parce qu’ils sont sur la plus belle pelouse dans le pus beau lieu.
- Il y a de l’eau en Corse pour la pelouse ?
- La terre est sèche à Bonifacio. Les promoteurs prennent l’eau à ceux qui pourraient en avoir besoin en cas de sècheresse aggravée
- Et ils la font payer ?
- Ils font payer la vue qui appartenait aux habitants. Pourquoi faut-ils qu’on mette si cher pour s’amuser et si peu pour des besoins primordiaux ?
- Parce que c’est la mode.
- Il y a la mer dessous et les îles au loin
- Quelles îles ?
- Cavallo et Lipazzu, l’île aux millionnaires et l’île aux naufragés
- Les millionnaires sont des naufragés ?
- Non et les naufragés n’étaient pas millionnaires
- Les millionnaires corses ont pris la plus belle des deux île pour construire leurs résidences secondaires ?
- Ce ne sont pas des Corses qui l’habitent mais la jet set italienne et les pipoles du continent. Ils pompent l’eau et l’électricité des Bonifaciens.
- Ils ont vraiment pris la plus belle des îles ?
- Pas du tout, les îles Lavezzi sont aussi belles mais elles sont interdites de construction et même de débarquement, mise à part Livezzu, tandis que Cavallo est interdite de débarquement pour cause d’enfermement de milliardaires.
- Comme un coffre-fort
- C’est un peu ça. Il nous manque la combinaison qui livre l’accès à l’île.
- C’est de la provocation. Raconte moi ça
- Demain. Aujourd’hui je me contenterai de Spérone et de Bonifacio.
- Il y a de l’argile dessous pour garder l’eau de la pelouse?
- Penses-tu, c’est une falaise calcaire trouée comme un fromage de gruyère
- Encore une histoire de rats
- Mais les plus beaux trous du monde au pied de la falaise où l’on entre en bateau, où il y a des trouées de ciel bleu qui ont la forme de la Corse…
- Qu’est-ce qu’il y a au-dessus ?
- La ville de Bonifacio
- Et tu crois que la ville ne va pas crouler avec tous ces trous en dessous comme des trous de mines ?
-
Paris est bien construit sur des carrières.
- C’est une tragique histoire que tu nous racontes là.
- Les contes sont faits pour exprimer l’inexprimable. Impossible ici, de suggérer la fausse piste qui libère le rêve en buttant sur la raison. C’est la réalité elle-même qui est déraisonnable.
- N’empêche que c’est beau.
- Tant qu’on peut voir encore ce qui fut si longtemps l’unique richesse accessible à tous.
- Comme le littoral ?
-
Çà c’est autre chose. Je t’en parlerai un de ces jours.
Photographies de Régine Rosenthal