- Alors, tu as pris une voiturette ?
- Il faut bien que je fasse des courses
- Si tu crois que c’est avec çà que tu vas gagner le tour de Corse ? Autant prendre une voiture à pédales. Par ces temps de pénurie d’essence, ce ne serait pas mal.
- Ce ne sont pas des courses automobiles que je veux faire mais des courses alimentaires.
- Où vas-tu ?
- À Ile-Rousse
- Jolie ville.
- Et beau marché
- C’est là que les marchands de saucissons sont dans le temple
- Quel temple ?
- Le temple grec
- Oui mais il y a aussi, derrière le temple, une vieille épicerie à l’ancienne. On y
trouve de tout, même des haricots en vrac : ceux pour la soupe et les gros pour les haricots à la Corse
- Une épicerie à l’ancienne, c’est une épicerie de vieilles personnes ?
- Il y a trois ans, ils étaient trois pour la tenir : le frère et les deux sœurs.
- Et maintenant ?
- Le frère est « parti » il y a deux ans et l’une des sœurs est ‘très fatiguée’ cette année
- Je reconnais là cette pudeur des Corses face à la maladie et à la mort.
- Et la troisième ?
- La troisième ? Elle est toujours là.
- À la retraite ?
- Pour un Corse, la retraite, c’est le début de la défaite, la Bérézina de la vie, quoi.
- On dit que la Corse est pleine de retraités.
- Qui viennent du continent où l’on a inventé la retraite pour peupler l’île de retraités.
- Et les Corses de Corse
- Ils travaillent
- Jusqu’à quand ?
- Jusqu’à ce qu’ils « partent »
- Travailler ?
- Non, reposer.
- En voici une qui devrait manifester pour sa retraite.
- Elle n’y tient pas. Je la connais. C’est une vraie Corse. Elle travaillera jusqu’au bout.
- Qui va manifester alors pour la retraite ?
- Sa petite nièce peut-être
- Celle de la maternelle ?
- Oui.
- Pour la retraite de sa grand-tante ?
- Penses-tu, elle n’en voudrait pas : c’est pour sa retraite à elle que va manifester la petite fille, si elle manifeste..
- La retraite de la maternelle ?
- Sans doute parce que l’autre, il faudrait qu’elle travaille d’abord.