- On n’est pas mufle en France, on
sait s’occuper des vieux.
- Et comment s’occupe-t-on des vieux ?
- En les faisant boire de force quand ils n’ont pas soif, en les plaçant dans des maisons où ils pourront voir ce qu’on devient quand on vieillit, en leur trouvant des lieux de rencontre où ils pourront parler de leurs maladies, en les vaccinant en rangs serrés dans des casernes où les hommes retrouveront l’atmosphère et le major de leur jeunesse
- Ce n’est pas dans des casernes qu’on va les vacciner, c’est dans des gymnases.
- C’est pareil. Pourquoi pas des étables comme les vaches ou les bergeries comme des moutons !
- Tu as déjà vu de jeunes infirmières vacciner des vaches, des porcs ou des moutons.
- Qui te dit qu’elles seront jeunes ?
- On les réquisitionne pour çà. Les vieilles personnes seront vaccinés en cadence au son des chants de leur jeunesse.
- Dans la fesse ?
-
Je ne sais pas. Pourquoi penses-tu dans la fesse ?
- Parce qu’ils n’ont plus beaucoup de chair ailleurs
- De toute façon, tu peux être rassuré, on s’occupe des vieux
- Qui, on, les pompiers ? : ils n’ont pas voulu venir quand j’ai eu une inondation de tout-à-l’égoût.
- Ce ne sont pas des éboueurs, les pompiers, ce sont des auxiliaires médicaux : ils relèvent, ils désincarcèrent, ils transportent les accidentés aux urgences et puis, quand ils ont le temps, ils viennent s’occuper d’un malaise de vieux.
- Tu vois bien. Si tu n’es pas content, tu n’as qu’à appeler ton médecin
- Et si c’est pour une inondation ?
- Tu appelles ton plombier.
- Et s’ils ne sont pas là
- Tu appelles le 15 ou les pompiers. Ils ont leur brevet, tu sais
- Leur brevet de natation ?
- Non leur brevet de secouriste.
- Et puis, il y a des centres « vieux » dans toutes les mairies
-
Pour les aider à trier leurs poubelles ?
- Pour leur donner des conseils et des fascicules sur la préservation de l’environnement
- Parce qu’ils n’ont pas su le préserver ?
- Non, ils avaient des procédés obsolètes qui ne tombaient jamais en panne ; ils ne renouvelaient jamais le matériel ; ils ne portaient jamais rien aux déchetteries.
- Tu as vu, çà ne s’appelle plus déchetteries, çà s’appelle des "récupèreries" ou quelque chose comme çà.
- Alors pourquoi reproche-t-on aux vieux d’avoir récupéré ce qu’ils pouvaient durant leur vie ?
- Parce que les jeunes n’en veulent plus de leurs récupérations
- Je comprends, l’acier de la victoire çà n’a servi à rien ni les glands ni la poignée de laine du Maréchal que les jeunes d’il y a soixante ans allaient sur ordre récupérer chez leurs vieux à eux. On les soignait les vieux alors. On avait un vieux Maréchal à la tête de l’État. Ils avaient même une carte spéciale, la carte V
-
Une carte V ? Il faudra y penser. Ce que c’est quand même que la mémoire…On devrait leur parler davantage, aux
vieux.
Photographies de Régine Rosenthal et Hélène Durand