- Le nouvel occupant, est-ce une loi plus sage ?
- Pourquoi me cites-tu La Fontaine ?
- À cause des nouveaux arrivants.
- Tu veux dire les nouveaux immigrés ?
- Non, ceux-là tout le monde en parle. Je veux dire ceux dont on ne parle pas.
- Lesquels ?
- Ceux qui, en s’installant, ne supportent aps le voisinage qu’ils aimeraient bien remodeler à leur manière..
- De qui parles-tu ?
- Des nouveaux propriétaires.
- Comment cela ?
- Ils achètent des maisons et ceux qui les habitent doivent partir.
- Quels habitants ?
- Les locataires, les habitués, les bâtisseurs de patrimoine.
- Comment peuvent-ils ?
- Oh ! c’est simple : ils vont jusqu’au procès.
- Comme pour le chant du coq qui les réveille
- Il faut donc tuer le coq
- Exactement.
- Ils achètent une petite maison de pêcheur et les pêcheurs sont expulsés.
- Il n’y a plus de pêcheurs.
- Près de chez eux, non : le poisson sent mauvais. Ils achètent en pleine ville et font des procès parce qu’il y a du bruit au café d’à côté, ils achètent en bord de mer et ferment la plage.
- Ce n’est pas possible près des mers à marée.
- Si : ils ferment les passages qui y conduisent. « On ne voit plus la mer à cause de ces gens là ». C’est François Mauriac qui l’écrit.
- Mais ces gens-là connaissent bien quelques servitudes des droits de passage.
- Ce sont de vieux droits du temps des lotissements. J’en connais qui remontent à 1860.
- Mais ils sont imprescriptibles.
- Les nouveaux n’en savent rien. Ils assoient leur argent et leur entregent sur ces droits qu’ils considèrent obsolètes.
- Et les usagers ?
- Ils en ont perdu l’usage dans les fouillis d’actes de notaire qui ne les inscrivent plus lors des ventes.
- C’est comme les chemins que les paysans rognaient à la charrue.
- Oui, mais c’étaient des paysans. On leur reprenait ces terrains rognés.
- Maintenant ce sont de financiers, des peoples, des…
- Des intouchables.
- Tu n’as pas le droit de dire çà : ce sont les nouveaux propriétaires.
- Je vois ce que tu veux dire : les droits anciens sont effacés à grands coups de culot et d’arrogance…
- De cette insolence que donne l’argent. S’ils n’ont pas de droits, ils en prennent.
- Mais pourquoi me parles-tu de çà ? çà n’intéresse pas les chats.
- Oh ! que si : ils nous chassent et nous pourchassent. On a même vu un chat perdre sa patte dans un piège à loup. Ils ne nous supportent pas. Ils ne supportent qu’eux-mêmes.
- Les sauvages ! Et le civisme, l’identité nationale, la convivialité, qu’en font-ils ?
- Ils placent leur identité sociale au-dessus de tout çà.
- C’est vrai qu’il y a cette identité là. On y pense toujours, on n’en parle jamais.
- À quoi çà servirait d’être propriétaires si on ne pouvait pas éliminer ce qui nous gêne.
- En dépit des règles ?
- En raison du pouvoir par l’argent conféré.
- Et le droit, l’éducation, qu’en fais-tu ?
Allons ne fait pas l’idiot, tu sais bien que ces valeurs là sont dépassées et n’ont plus cours.