Il faisait grand froid cette année là et l’on avait allumé des
feux sur la place du marché de Créon mais, la nuit, nul ne s’aventurait sur la neige épaisse où l’on percevait surtout les traces bien régulières des loups, et, quelquefois,
celles plus déhanchées d’une louve pleine.
C’est alors que, sur les minuit de la veille de Noël, le veilleur de nuit s’étant cadenassé dans son logis et les feux n’en finissant plus de s’éteindre, un jeune loup, l’un de ceux justement qu’avait nourri de son lait Margoton, s’en vint des quatre pattes plonger dans le feu qui reprit d’un vif éclat le temps qu’en sortît le plus éblouissant jeune seigneur que guerre eût vue en ce pays pourtant parcouru en tous sens par des guerriers de toute espèce.
Son compagnon, transformé en compagnon de guerre était bien terne à ses côtés, terne mais joyeux drille prêt à reprendre ses rapines :
« Tue, tue, pille mon beau seigneur !
- Garde-t-en, voletaille, si tu m’en crois sur l’honneur.
- Quel honneur, beau sire, vaut belle fille prise sur paille en sa fenière ? »
- Lejeune Amaury n’était pas d’humeur à suivre sa discussion et Jacou, tout éberlué, n’en croyait plus ses fidèles mirotons. En guise de pillage Amaury entraînait son compagnon au plus profond des bois jusqu’à l’antre où Margoton tricotait des chaussons en attendant le retour du printemps. Plus d’antre au fond des bois, rien qu’un beau château où brillaient des flammes aux chandelles si nombreuses qu’on eût dit le château enflammé. Dans la plus belle pièce où luisaient les étains, une femme filait et Margoton tricotait. Des dames d’atours s’affairaient Jacou ne savait où donner des yeux. Amaury s’inclinait et, le genou en terre, demandait humblement pardon à celle qu’il avait naguère offensée dans une de ses pilleries de soudard qui l’avaient fait transformer en loup. Il avait été puni : beaucoup en étant transformé en bête, un peu en étant confié à la nourrice, tendrement en limitant sa peine à un an plein, le temps qu’il acquière plus de civilité au contact de la horde des loups moins fauves que la soldatesque d’alors. C’est la fée sa marraine qui avait voulu cette années pleine que la jeune Esclarmonde aurait tant volontiers limitée à quelques jours tellement elle avait aimé cette offense qu’une fille amoureuse pardonne toujours du fond des yeux – qui est un peu le fond du cœur. Mais cela, une fille bien élevée ne peut jamais le dire.