Ce n’est qu’après avoir quitté le bord que Cap de Fer et Came de Poulet s’aperçurent qu’ils avaient pris une barrique pleine au
lieu d’une barrique vide pour faire l’aiguade. Par souci d’économie et pour garder à l’eau de mer sa pureté naturelle ils entreprirent de la boire plutôt que d’en jeter le liquide afin de la
remplir d’eau à terre. Au bout d’un moment, l’île se mit à tanguer sur l’horizon.
« Et si c’était jour de lessive ? dit Cap de Fer libérant la question qui lui bloquait les amygdales depuis qu’il avait sauté dans la baleinière. Il ne rêvait qu’à çà, Cap de Fer, après avoir connu des blanchisseuses sur tous les fleuves de France[1] : un jour de lessive indigène dans la grande bleue ! Il faut dire qu’il avait déjà bien bu et que, dans le vin, le marin voit toujours la femme.
« A peine débarqué, il aperçut la Mathurine de Capsus à travers les palétuviers. Non point nue mais drapée de brume, ce qui était plus convenable. Qu’est-ce qu’elle fout, cette traînée ? hurla-t-il en fonçant dans les palétuviers, provoquant à chaque pas de grandes envolées de poissons volants.
« Il faut dire que Cap de Fer avait aimé la Mathurine et que c’est en parlant d’elle qu’il dit un jour, parodiant Néel évoquant Henriette : « Je l’aimais à Capsus, je l’aimais encore à Mestras, je crois que je l’aimerai sur le Bassin tout entier [2]»
[1] « Il me dit que ce village s’appelait Chaillot…que ces échelles servaient aux blanchisseuses du pays pour aller laver leur linge…Dans le moment même des femmes descendirent et d’autres remontèrent par ces échelles avec du linge, tandis que celles qui étaient restées sur la grève à échanger, battre et laver leur lessive nous dirent en passant mile sottises que la pudeur ne me permet point de répéter ici ». Néél Voyage…1736
[2] « Je l’aimois à Paris, je l’aimois encore plus à Saint Cloud, et je l’aimerais également par toute la terre : qui coelum non animum mutant « ceux qui changent d’air ne changent pas pour autant de façon de penser » Néel : Voyage…1736