Pierre avait quinze ans quand arriva l’événement. C’était un garçon secret qui aimait se promener seul sur les bords de la Gironde. Pas sur
les chemins qui sont là pour tout le monde, mais dans ces halliers qui poussent à même la vase du fleuve et que l’on ne débroussaille que pour installer quelqu’estacade[1] conduisant à un lieu de pêche, une de ces cabanes sur pilotis d’où pendent des
carrelets[2]. Il aimait beaucoup ces terrains indécis, humides, spongieux, où la terre et la
mer se confondent, d’où monte la brume comme une fumée légère, où l’eau tapisse la terre de ces débris qui rendent incertaines les limites, où les chiens se mettent à l’arrêt devant les
ragondins. Un jour il y trouvait un bâton noueux, tout plein de mystère, un autre jour quelque boule échappée d’une cartomancienne ou d’un vieux filet de chalut. C’étaient là des trésors qu’il
entassait dans une vieille cabine.