à Roxanette, Ispahan.
Ma chérie
On a dû te parler de Tartuffe au lycée français. C’est notre héros national, notre modèle préféré.
Tu te demandes ce que c’est
qu’un modèle national. C’est celui qu’on imite. Les tartuffes vont voir les vieilles personnes, les chouchoutent, les caressent, les mignotent jusqu’à les chasser de chez elles. Tu te
souviens : « C’est à vous d’en partir, vous qui parlez en maître ». Où vont aller ces personnes ? Dans des maisons de retraite, bien sûr. C’est pour ça qu’il y a tant de
pensionnaires dans ces nouvelles réserves pour personnes âgées où l’on refuse leurs chats. C’est pour ça qu’on n’aime pas ces maisons où l’on dit de nous que nous sommes des tartuffes à cause de
notre fourrure. Allez savoir pourquoi.
Tu te figure peut-être qu’il y en a moins de tartuffes qu’au XVII è siècle
et que tout ça c’est de la littérature? Ne crois pas ça, ma mignonne. Ils bourgeonnent, ils fleurissent. J’en ai connu pendant la guerre qui venaient s’enquérir de ce que faisaient leurs voisins
avant de les dénoncer consciencieusement à cause d’un rouge-gorge qu’ils avaient croqué ou d’une souris dont ils se jouaient. Après la guerre il y a eu 68. Tous ensemble, qu’ils disaient, mais
les lendemains plus personne qu’eux seuls aux commandes du pouvoir. De nombreux chats sont restés sur le pavé.
Et si tu crois que mai 68, c’est des vieilles lunes tu apprendras que les tartuffes se sont reconvertis. Tu voudrais savoir où ? Tu en as plein chez les pieux. C’est normal vu le modèle. Ils disent qu’ils sont venus là pour fréquenter des gens bien. Les chats de sacristains ne sont pas forcément des chats bien mais ils passent pour tels et c’est ça qui est important. Comme ils pensent qu’il y a peu de chats comme eux, ils s’enorgueillissent de faire partie du cercle des pieux. Ils le miaulent sur le toit des églises, dans les combles des sacristies et jusque dans les bénitiers quand il n’y a pas trop d’eau bénite. Ils croient croire comme disait Prévert et croassent les grenouilles de ces lieux. Pour peu, ils se feraient battants de cloches. Bien sûr que tous le chat-pieux ne sont pas tartuffes et que tous les tartuffes ne sont pas chat-pieux…
Des tartuffes non pieux, il y an a plein chez nous. Tu te demandes où, mais chez les Présidents bien sûr. Pourquoi penses-tu aux
Présidents de la République ? Je te répondrai qu’il y a beaucoup de Chats-fourrés présidents. Ils savent tout et nous écrasent de leur savoir et de leur morale. Même en histoires de chats
ils savent tout : le passé, le présent et l’avenir, même s’ils n’ont jamais voisiné ave boule de cristal des études de voyantes. Ce sont les ayatollahs de chez nous. Ils savent mieux que
nous ce qui nous convient et s’arrangent pour qu’on n’écoute qu’eux, pour la seule raison qu’ils sont présidents. Ils tranchent de tout, jettent des anathèmes, lancent des interdits, chassent les
mal pensants. Tu vois, ma chérie, Tartuffe est éternel comme Molière. Il est universel. On en voit chez vous qui dénoncent les chattes trop entreprenantes, les adultères de chats, les tenues
indécentes, les mauvaises pensées et même les autres. Et pourtant tu sais comme nous on nous dit secrets.
Comment t’en préserver ? Frotte bien ta petite lampe d’Aladin, doucement, longuement du doux coussinet de tes pattes, tes griffes
bien rentrées pour ne pas la rayer. Tu pourrais en avoir besoin. Au cas où ça ne marcherait pas, prépares aussi ton tapis volant. En attendant, fais bien attention à ton pelage. Tous ces
tartuffes seraient bien capables de t’en dépouiller comme on le fait de vulgaires lapins.
Les photographies sont de Régine Rosenthal