Entraîné par la lecture de mon journal, et saisi d'un saint zèle, mon chat a entrepris des réformes. C'est la mode.
Il a commencé par la justice, responsable, pas coupable à cause de la séparation des pouvoirs. Vous voyez, vous , le pouvoir exécutif s'occuper du zizi d'un écolier. Le pauvre enfant, venu d'on
ne sait quel milieu, jugé pour exhibitionnisme en milieu mixte et protégé? La justice est affaire sérieuse. Elle juge la parole, pas l'acte. Elle s'exerce au nom du peuple français excepté
que c'est le seul pouvoir qui ne soit pas soumis au contrôle de l'élection.
- C'est un pouvoir monarchique, un pouvoir absolu, a dit mon chat qui voudrait faire élire les juges comme au temps de la Révolution Fançaise.
- Ce n'est pas possible, dis-je : Une urne ne suffit pas pour juger. Pourquoi pas une cruche? il faut des compétences pour cela
- Parce qu'il n'en faut pas pour faire de la politique?
- Ce n'est pas pareil. D'ailleurs Montesquieu a dit qu'il fallait séparer les pouvoirs.
- Il y a longtemps de ça, dit mon chat qui a des idées modernes. Il est temps de revoir la question.
- Je me sentis grandi par la défense du passé. Montesquieu, dis-je, à mon chat, c'est tout de même la grande époque des lumières, des encyclopédistes et des contes d'Hoffmann.
- C'est lui, a répondu mon chat, qui a dit que l'esclavage était nécessaire pour que le sucre ne coûte pas trop cher.
- un lapsus calami. Une bêtise, nous le reconnaissons tous de Nantes à Bordeaux et de la foule aux Ministres. On a même fait une exposition pour ça.
- C'est pourtant toi qui m'a dit que le travail clandestin comme le travail sous-payé en pays pauvres sont nécessaires pour que nous payions moins chers nos vêtements et la
plupart de produits fabriqués, qu'il valait mieux faire travailler pour rien les petites filles et profiter de ce travail que de les voir tomber dans la prostitution...
Là, il m'énervait singulièrement.
- Tu as fini avec tes paroles idiotes, lui dis-je, va écouter la télé, ça te reposera. Là, au moins tu trouveras des idées saines qui seront admises par tout le monde puisque la
télé l'a dit..
Mon chat, qui n'aime pas la télé, m'a regardé de travers. Il aime d'autant moins que je conteste ses réformes et qu'il ne trouve pas mes réponses satisfaisantes.
C'est alors que je vis s'approcher de lui un de ces douaniers que même Hoffmann qualifie d'ignobles. Il portait (mon chat, pas le douanier) une tunique griffée des meilleurs griffes de la mode
qu'il s'était griffé lui-même.
- C'est une contrefaçon dit le gabelou.
Mon chat réagit violemment : une contrefaçon? Parlez-moi de contre-temps, de contre-conte, de contre-courant mais cette tunique, c'est ma griffe, celle de mon père. Tout ça, c'est des
chinoiseries. Occupez-vous plutôt de toutes celles qui nous arrivent de là-bas et nous donnent le tournis.
Photographies de Régine Rosenthal et d'Antine