"Racontes-moi une histoire ,dit l'enfant.
- Il était une fois, fit le chat un monsieur long, long, long, sur un cheval haut, haut, haut, dans un pays nu, nu, nu...
- Je ne suis plus un bébé, dit l'enfant, tu ne sais pas parler autrement?.
Reprenons tout, dit le chat. Un jour qu'il faisait chaud, très chaud
- ça recommence, dit l'enfant
-Non : je suivais un Monsieur qui montait un âne qui suivait un cheval que conduisait un Monsieur qui suivait un rêve.
- Un rêve, c'est comme un ballon qu'on tient par une ficelle dit l'enfant?
- Si tu veux mais c'est joli une caravane conduite par un rêve.
- Et ça mène où?
- ça mène au bout du monde. Sans rêve, pas de route de la soie, pas d'Amérique, pas de grandes aventures
- Pas de grandes conquêtes, dit l'enfant.
Mon chat a préféré ne pas répondre à cette parole saugrenue.
- Don Quichotte, c'est un idéaliste.
- Il y en a beaucoup, des idéalistes?
- Pas trop parce que s'il n'y avait que des idéalistes, le monde serait invivable.
- Et sans idéaliste il le serait encore plus. C'est comment un idéaliste?
- C'est un grand Monsieur maigre qui baptise son cheval et la dame de ss pensée pour ne voir le monde qu'à sa façon.
- Ce doit être toujours seul un idéaliste?
- Pas toujours : les gens sensés aiment bien trouver un grain de folie qui les attire comme le phare fascine les oiseaux de mer. Il y avait avec lui un gros monsieur dodu sur un
âne bas sur pattes. Sans Quichotte pas de Pança et sans Pança, pas de Quichotte.
Mon chat pensait aux rois qui ont des fous qui ont des marottes et l'enfant rêvait de bulles de savon multicolores qui éclateraient sur un monde en déroute.
Comme chez Tristan Derême où l'optimiste, chaque année, pêche une huître à la ligne.
"C'est un extravagant, j'en connais des millers.
Leurs exploits nous sont familiers.
Un plan de l'Univers décore leur pupitre.
Ils cueillent en eux seuls les plus rares des fleurs,
Cassent vingt fois leur fil sans emporter une huître,
Et contemplent le monde à travers une vitre
Que leurs songes ont peinte aux plus vives couleurs..."
Les photographies sont de Cristelle Daniel et de Régine Rosenthal.