
Tu sais, me dit un jour mon chat en veine de confidences : j'ai eu ma vie sauvage, moi aussi.
- De mon temps?
- Non il y a bien des années, du temps de la Belle au Bois Dormant.
- Comment c'est arrivé?
- Sans qu'on s'en aperçoive. Un beau matin, rien ne s'est réveillé : ni le château, ni les bois, ni les animaux, ni la Princesse. Aussi, lorsque cent ans plus tard un prince chasseur découvrit le
chat-tot dans un hallier plein de vers, d'araignées, de poussière colmatée par la boue du matin, il a appelé le SAMU.
- Avant de vous réveiller?
- Ce sont les sirènes du Samu qui nous ont réveillés. Si tu avais vu la galop des chevaux, les aboiement des chiens et tout le tintamare d'un château s'éveillant et des serviteurs s'enfuyant comme
délivrés d'un maléfice... C'est alors que je me réfugiait dans un hallier

tout en haut
d'un arbre.
- Tu n'as pas vu où partait la Princesse?
- Ni les serviteurs, ni les chiens, ni les chevaux. On a vu par la suite quelques serviteurs traîner de ci de là à l'ANPE, dans des squats, avec des éducateurs de rues mais la Princesse, nenni,
jusqu'au jour....
- Au jour quoi? Allons ! dépêche-toi...
- Jusqu'au jour où j'ai su qu'on la gardait à l'hôpital pour "analyses approffondies". Tu te rends compte : un corps si souple, des organes en état de fonctionner, un coma réversible cent ans
après l'entrée en sommeil...Les gérantologues, les dermatologues, les allergologues, les psychologues et même les kinésithérapeutes furent appelés au secours de la Faculté où l'on consultait
fièvreusement de vieux grimoires.
- Conclusion?.
- On la gardait à fins d'observations. elle fut mise au secret. Seul le Prince pouvait l'apporchait. "Et tant Bourbon l'aima, qu'à la fin l'engrossit", comme dit la berceuse qui
endormait le jeune Louis, dauphin de France. Il l'engrossit même deux fois mais un jour qu'il dut se rendre aux Etats-Unis pour un de ces stages d'un an que pratiquent nos étudiants, la reine-mère,
un mère possessive et qu'il craignait, eut vent de la chose.
Elle vint, reventiqua le ménage, fit enfermer la Princesse dans un asile et fit mettre les enfants à la DASS.
- Comme ça, sans raison?
C'était facile. Avec l'éducation surannée de la Princesse, ses demandes incongrues, quelqu'un qui se disait princesse de sang royal.
- Pourquoi pas la maîtresse du Régent? dirent les psychiâtres. Il y en a bien qui se prennent pour Napoléon.
On l'interna.
- La Prince n'a rien dit?
- Il était, te dis-je aux Etats-Unis. Quand il est revenu, il courut à l'hôpital ; elle n'y était plus : ni elle, ni le corps médical qu'il avait connu.

Il dut engager un détective avant de saisir la justice pour rapt et séquestration avant d'obtenir le retour de la
Princesse et le rétablissement de son autorité parentale.
- Et toi, qu'es-tu devenu pendant ce temps?
- Je gardai le vieux château branlant qui fut classé monument historique. J'en étais fier comme un bonze gardant Angkor.
- Tout est bien qui finit bien?
- Su tu veux sauf que le plus dur fut de récupérer le petit Jour et la petite Aurore, l'Aide sociale à l'enfance et à l'adolescence lâchant très difficilement ceux qui tombent un jour sous leur
patte.
- Comment sais-tu tout ça?
Parce que, quand elle a su que j'étais très mal payé par les services culturede la commune qui n'avait pas les moyens de restaurer le vieux château, la petite Aurore m'a adopté. Elle m'a tellement
donné à manger après tant de jours de vaches maigres que je suis mort, comme le chat du capitaine Fracasse, tout ensemble de joie et d'indigestion.
Ce qui m'a permis de renaître sur le lit de ta fille où tu es venu me chercher;
Les photographies sont dues - dans l'ordre - à l'aimable coutoiseie d'Anthine, de Régine Rosenthal et d'Hélène Durand.