Joseph Delteil "Les chats de Paris" Editions Montaigne (Aubier) 1929
Photographie de Régine Rosenthal
- J’ai une copine qui habite une cabane de milliardaire
- Elle est milliardaire, ta copine ?
- Non mais les propriétaires n’y sont qu’en vacances et le reste du temps elle en profite en passant par une vieille chatière. C’est ce qu’on appelle une résidence secondaire »
- Parce que les milliardaires ne peuvent pas s’acheter autre chose
- Si mais ils aiment beaucoup les cabanes parce que ce sont des privilèges
- Des privilèges, les cabanes, tu te moques de moi ?
- Non, elles sont sur terrain public maritime et ne devraient être concédées qu’à tritre personnel et aux seuls travailleurs de la mer.
- Ce sont des travailleurs de la mer, tes milliardaires ?
- Non, bien qu’ils le laissent entendre quelquefois. Ce sont des vacanciers de la mer et ils aiment jouer les Robinsons. C'est leur côté puéril.
- Et c’est pour ça qu’on leur a concédé des cabanes ?
- Non, ils se sont débrouillés
- Comme en Corse pour les paillotes ?
- Non, il n’y a pas de terrain public maritime en Corse. Les paillotes, c’est chez eux.
- Comment se sont-ils débrouillés ?
- Va savoir, ils invoquent souvent un ancêtre qui en a bénéficié.
- Ils se fabriquent des ancêtres pêcheurs ?
- Un peu, sans trop l’avouer, mais du côté maternel.
- Le côté bâtardise en quelque sorte ?
- Ce ne serait pas la peine d’avoir de l’argent si on n’avait pas en même temps quelques privilèges qui vous distinguent de la foule des
autres.
Photographies J.C.Lauchas et régine Rosenthal
Monsieur le Ministre
Vous préférez injecter de la bouillie d’huître à un souris plutôt qu’à un rat. C’est votre droit. Ce sont de petites bêtes fragiles, frémissantes, émotives, sensibles au stress de la piqûre tandis que les rats, ces lourdauds malodorants seraient capables de résister à tout.
Si les souris meurent, vous en déduisez que la bouillie est toxique mais si elle l’est c’est à cause de l’eau que les huîtres ingurgitent et si l’eau est toxique, il faut interdire la baignade surtout pour les colonies de petits citadins ; il faut aussi interdire de naviguer, les plaisanciers étant capables de se baigner en cachette au milieu des toxines et même de prélever quelques huîtres, sauvages ou non, pour les manger.
Ce n’est pas tout : tout le temps que, dans vos laboratoires, vous suivez la lente agonie des souris, vous laissez vendre et manger des huîtres à des touristes nouvellement arrivés. C’est contraire au principe de précaution.
Vous même, Monsieur le Ministre, dites que le procédé n’est pas fiable. Il ressemble trop à cette science empirique du Moyen-âge qui forçait les présumées sorcières à monter sur un bûcher. Si elles brûlaient, elles n’étaient pas sorcières et on n’avait plus qu’à les enterrer en terre chrétienne. Si elles ne brûlaient pas, on pouvait pratiquer la question.
La question c’est justement de savoir s’il n’y a pas quelque scientifique dégagé des brumes médiévales pour vous rassurer tout de suite, Monsieur le Ministre, parce que si nous attendons la fin des vacances, il n’y aura plus, pour manger des huîtres, que des habitants mithridatisés qui ne valent pas la peine qu’on s’intéresse à eux.
Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le Ministre, j’espère que vous sortirez
vite le Bassin de ces pratiques dignes de la preuve par le fer rouge que l’on pratiquait dans les temps les plus obscurs, quand la lande était encore une terre
inquiétante.
- Tu les aimes tellement les huîtres?
- Tellement, non mais ils sont en train de pourir la vie de mon bienfaiteur, tu sais, celui qui est venu nous chercher à l'Île aux Oiseaux tout en nous pourissant les souris.
- Vous pourir les souris?
- Ils en font un consommation considérable tout en laissant dire que c'est nous qui sommes les prédateurs, mais en plus je n'ai jamais pu savoir ce qu'ils font des souris qui survivent - si, si,
ça arrive quelquefois, quand les touristes sont partis.
- Ils les relachent, les souris?
- Et tu crois que je vais courir après des souris qui ont été injectées d'huîtres? Hier les tuberculeux, aujourd'hui les souris huîtrées. Je parie qu'aucun chat estrangey n'a pu survivre sur le
Bassin d'Arcachon.
- Et que fait l'Ifremer des souris mortes?
- J'espère qu'ils ne les rejettent pas au Bassin mais avec eux on ne sait jamais : il y a tant d'estrangey qui se font incinérer pour que leurs cendres soient jetées au Bassin...
- Ne cherche pas plus loin. C'est pour ça que les huîtres sont interdites.
Photographies de régine Rosenthal et Hélène Durand.
ZODIAQUE
Mon cher Tristan Derême
Vous parlez du lion et c’est tout un poème
J’aurais pourtant aimé que vous parliez du chat
Puisqu’il est né du nez d’un lion qu’on moucha
Oui, je sais, il n’est pas des signes du zodiaque
Mais ce n’est après tout que l’oubli d’un maniaque
Qui voulait seulement, pour flatter le lion
En écarter le chat, modeste trublion.
Les chats pourraient fort bien être signes stellaires
Ils trouveraient leur place auprès du Sagittaire
Le Bélier, le Taureau, le Verseau, les Gémeaux
Sertis dans l’Univers ne sont que froids émaux
Face aux lents mouvements que la lune dévoile
Lorsqu’ils lèvent leurs queues à moucher les étoiles.
Le chat opposera le cancer au scorpion.
La balance est un piège à vendre les poissons
Mais la Vierge aimera en sa douceur câline
La démarche onduleuse aux promesses félines
Et l’on verra en eux la douceur et l’amour
Honorer à jamais l’horoscope du jour
-
Tu aimes bien Baudelaire ?
- Il dit beaucoup de bien des chats
- Tu ne serais pas un peu narcissique des fois ?
- Il nous dit séraphiques, pareils aux anges
- Il aimait plutôt les anges noirs des « fleurs du mal ». C’est d’ailleurs là qu’il parle de vous, en fleurs du mal.
- Il nous aime électriques. Les reins féconds pleins d’étincelles magiques avec des parcelles d’or dans nos yeux. Tu as mieux à me présenter ?
- Amis des amoureux et des savants. Tu ne trouves pas que c’est étrange ?
- Pourquoi les savants, même austères, ne seraient-ils pas amoureux ?
- Les amoureux fervents ne sont pas forcément savants, bien que ça rime..
- Et ces grands sphynx allongés au fond des solitudes, ça ne te dis rien
- Si, j’ai vu ça quelque part « qu’il est doux de ne rien faire pour pouvoir se reposer après ».
- On dit tant de bêtises.
« Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l’entend à peine,
Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s’apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde
C’est là son charme et son secret »
- Ouais, pour un timbre tendre et discret, tu te
poses un peu là quand tu veux sortir et que je ne viens pas assez vite t’ouvrir la porte.
- Bien sûr, parce qu’alors ce n’est pas une tendresse que j’exprime, c’est un ordre que je donne. Tu les as entendu tes adjudants à la caserne ?
- Ils gueulaient « Ferez quat’jours de gnouf. Rompez ».
- C’est leur voix qu’il faudrait rompre.
- Un adjudant aphone, le rêve.
- Un chat adjudant, une hérésie.
- Ça ne nous empêche pas d’avoir notre liberté d’expression. Miauler n’est pas biaiser
- Il y a longtemps que tu ne m’as pas donné de nouvelles politiques.
- Tu sais bien que c’est l’été, qu’il faut laisser les gens se reposer et que, s’il ne se passe rien l’été, c’est que la télé est en vacances.
- Je croyais que la télé se faisait l’écho des évènements.
-
Seulement de ceux qu’elle crée.
Les photographies sont de Régine Rosenthal