- - Alors, Mouss’ tu l’as reçue ta feuille de route ?
- Qu’est-ce que tu appelles une feuille de route ?
- La feuille pour te faire vacciner.
- Pourquoi l’appelles-tu comme çà
- Parce que çà me rappelle le bon vieux temps
- Ah, oui, et quoi donc ?
- Pour les femmes, çà leur rappelle les queues devant les magasins pratiquement vides…
- Et pour les hommes,
- La vaccination par section à vingt-quatre à la fois, les aiguilles dans le dos en attendant que le major vienne y visser sa seringue.
- Moi, je ne l’ai pas reçue mais Caramel, oui.
- C’est normal, les femmes et les enfants d’abord. Et qu’est-ce qu’il a dit ?
- Qu’il ne veut pas y aller
- Pourquoi ?
- Il dit comme çà qu’il n’aime ni les piqures ni les brossages
- Il est trop jeunes pour en sentir toute la volupté
- Des piqures ?
- Non des brossages. C’est toujours les jeunes qu’on vaccine en premier. Çà fait partie des initiations, des apprentissages du civisme.
- Parce que le civisme, c’est la vaccination ?
- Bien sûr. Cela fait partie de l’intégration.
- Comme les minarets ?
- Si les minarets ressemblent à des clochers d’église, pourquoi pas ? On dit que c'est une question d'intégration architecturale.
- Tu crois qu’en pays musulman on va faire aux églises des clochers comme des minarets
- Je n’y vois aucun mal. Figures-toi que de l’autre côté du Bassin, à l’Herbe, il y a une chapelle ou le croissant avoisine la croix au-dessus du fronton.
- C’est une mosquée ?
- Non, la chapelle de la villa algérienne
- Et personne ne dit rien ?
- Si les bateliers quand ils passent devant, ils disent n’importe quoi
- Pourquoi ?
- Parce que çà fait partie du tourisme de dire n’importe quoi quand on ignore Ils disent, selon l’inspiration, que çà a été fait par des musulmans, que le constructeur s’était fait musulman, que…
- Est-ce qu’on sait vraiment ?
- Et l’histoire qu’en fais-tu ?
- Caralmel n’en a pas besoin, il veut aller en section S
- Et les scientifiques n’ont pas besoin de connaître l’histoire ?
- À voir ce qu’ils disent il y a longtemps que, même moi, je m’en suis aperçu
- Et le souvenir de mémoire, qu’en fera-t-il ?
- Il ira le chercher sur internet, il y a tout ce qu’il faut savoir sur internet.
- Pour l'intégration, il ira sur la télé
- Mais la télé dit la même chose qu’internet, en plus dramatique encore. Les scientifiques qu’on interviouve disent qu’ils ne pensent qu’à l’avenir de leurs enfants
- Les temps sont dramatiques, tu sais, comme au temps du déluge, des sept plaies d’Egypte, de l’an mil, de la grande terreur…
- Oui mais – sorbonagres, sorbonicoles – ils ont introduit dans les foyers les disputes savantissimes des époques médiévales et c’est çà qui compte.
- Tu y vas fort
- Tu verras qu’ils vont finir par assassiner l’histoire si elle ne va pas dans leur sens.
- C’est pour çà qu’on la leur enlève ?
-
Oui, par principe de précaution.
Photographies de Régine Rosenthal