
Mon chat était au commissariat quand ils sont arrivés tôt le
matin et tous ensemble. Le commissaire eut tôt fait de convoquer les parents, de réunir les photographes, les journalistes, la radio et la télé locales pour bien montrer la célérité des recherches
policières faites dans l'intérêt des familles - ce qui, dans ce cas, était légèrement trompeur.
Les enfants pleurèrent, un peu, les parents pleurèrent, beaucoup. La télé fit une émission de télé-réalité qui fit pleurer la moitié des la France, celle qui était réveillée. Les parents,
bénéficiant de l'aura de la télé obtinrent une bonne allocation et un HLM qu'ils avaient longtemps demandé en vain. Ce fut très beau, très émouvant, jusqu'à ce qu'on s'aperçut qu'il n'y avait pas
le Petit Poucet. Les parents ne savaient compter que sur les doigts de la main et, de toute façon, quand il y en a pour six, il y en a pour sept.
- Où est le Petit Poucet? rugit le Commissaire.
De Petit Poucet, il n'y en avait point et ce fut une belle -pagaille dans le studio.

que n'avaient pas encore quitté les spectateurs.
- Trouvez-moi le Petit Poucet, rugit le Commissaire!
Mon chat, qui l'avait vu s'éclipser en douceur n'en dit rien. C'est que le Petit Poucet, qui se souvenait des filles égorgées de l'ogre n'avait aucune envie d'être interrogé sur cette péripétie. Il
avait tort, l'ogre ayant succombé à un coup de sang était enterré anonymement comme un quelconque immigré sans papier.

Quant aux filles, qu'il imaginait toutes en rond têtes coupés sous leurs bonnets,
elles habitaient si loin dans la forêt que personne de sensé ne les a retrouvées. On pense même que ce sont elles qui figurent les cadavres vivants d'une certaine exposition à la mode.
Le petit Poucet regrettait beaucoup la femme de l'ogre qui était une brave femme. Elle était partie quand elle comprit l'étendue du désastre et nul ne l'a revue depuis.
Laissant là ses parents et ses frères, mais gardant ses bottes de sept lieues, le Petit Poucet était parti dans la ville voisine se faire livreur de pizza. Aucun livreur ne fut jamais plus
rapide que lui.
Mon chat l'a rencontré quelques jours après venu livrer dans la ville. Il lui a demandé des nouvelles de la famille. Mon chat lui a répondu que le père bûcheron était au chômage parce qu'il n'y
avait pas de forêt en ville et que ses frères étaient assez nombreux pour former une vraie bande. Personne ne parlait de lui. Loin des yeux, loin du coeur
Si mon chat a reconnu le Petit Poucet, c'est à cause des bottes de sept lieues.
- Tu me les prête tes bottes?
- Tu ne peux pas, tu as quatre pattes.
- Et le chat botté?
- Tu as dit toi même comment il avait terminé. Je n'ai pas envie de finir comme lui.
Comme mon chat se mit à sangloter, il voulut bien l'amener avec lui. Il le mit dans la panière aux pizzas. Ce fut sublime : des virages comme dans une formule 1, du vent dans les cheveux comme dans
une décapotable. Le luxe, quoi.

En arrivant à la pizzeria, il ont trouvé des enfant qu'une famille venait d'abandonner en
s'enfuyant en voiture - la forme moderne du conte?
Surmontant sa phobie de la police, le Petit Poucet mit les enfants - et mon chat - dans la panière qui était fée et entreprit de les amener au commissariat.
- Qu'est-ce que ce foutoir, dit le Commisaire. Si vous croyez qu'on va accepter de faire donner des apparts et des allocs à tous les abandonnés de la terre. Il éructait : "Ont-ils leurs
papiers?
Sans papier, vous n'existez pas et seule l'Assistance Publique peut vous recevoir, si vous êtes mineur.
Le Commissaire n'a pas reconnu le Petit Poucet mais il m'a reconnu, moi
- Ah, te voilà, dit-il, avec des accents de boulanger retrouvant sa Pomponette. Ton papa te cherche partout.
Les photographies sont de régine Rosenthal et Cécile Durand