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2 octobre 2011 7 02 /10 /octobre /2011 11:33

 

 

Sous le lourd soleil d’une lande infernale laissant à sa gauche d’immenses montagnes de sable, Don Quichotte avançait, roide comme la justice qu’il était censé devoir représenter, aussi droit que sa pique, bien calé entre deux proéminence d’une haridelle aussi  maigre que lui. À ses côtés Sancho Pança roulait sur un âne aussi rond que lui et qui butait à chaque racine de pin courant sur le sol comme vipères pétrifiées. Le chevalier et l’écuyer pensaient être en  bout de monde tant ils entendaient rugir des lions tout autour et surtout du côté de l’Océan.

-          Des lions de mer, dit Sancho qui préférait trouver à manger que servir de repas à des fauves déchaînés.

-          Tu vois, Sancho, répondit son maître, si nous sortons vivants de cette aventure, je te ferai gouverneur de l’île aux Oiseaux qui est une île entourée de terre de tous côtés ce qui vaut mieux, pour communiquer avec le continent,  qu’une île perdue dans l’Océan.

Il était de la race de ceux qui construisent sur le sable comme le furent plus tard Pereire et quelques autres. C’était l’époque où des seigneurs catalans, gascons ou francès multipliaient les bastides autour d’un pieu censé représenter le centre de la place marchande Ayant suivi le bord déserté d’une mer semée de débris comme s’il s’y était livré une terrible bataille navale, Il se crut en pays vierge n’ayant point encore aperçu homme ni femme en ces lieux. Il se sentait tout fier d’être le premier à fouler cette terre désertique, ignorant qu’un moine de son espèce avait déjà cueilli une Vierge sur un des bancs oublié là par l’Océan à marée basse et préparé une chapelle provisoire au Bernet[1]. Comme quoi un brave chevalier peut n’être que e second de quelqu’un. Plantant sa pique dans le sable d’une plage aux bords apaisés d’une large baie qu’il prit pour la baignoire d’une sirène il dit : c’est ici, en cette place, que je fonderai ma ville. Je l’appellerai Arcachon car le nom m’est plaisant et évoque déjà riches maisons et enchantements de cour comme en offrent riches chevaliers à leurs dames de cœur et nous y ferons venir troubadours pour y chanter les exploits de fin amor.

Faisant fi des observations de son fidèle Sancho qui lui rappelait le vieux proverbe marin qu’il faut se méfier de la chanson de la sirène, de la queue de la baleine et du clocher de Mimizan[2], Don Quichotte semblait soucieux. Il avait bien d’autres soucis en tête - en particulier cette annonce que lui avait faite une pythonisse de son pays où elles sont renommées - du combat qu’il aurait à mener u n jour contre de blancs géants que les forces infernales ne manqueraient pas d’aligner sur le rivage face à la mer et au vent. Il ne craignait pas tant l’agitation de leurs bras que le flou des prédictions de la voyante qui, ainsi qu’avait fait Nostradamus en ses prédictions, avait oublié d’en préciser clairement la date. La pensée de sa Dulcinée qui l’aidait à se garder en chevalerie quelles que soient les circonstances, l’aiderait à vaincre, c’est certain, et il irait déposer aux pieds de sa gente dame et sous les applaudissements de la cour, les ailes des géants morts ainsi que font toréadors des oreilles et de la queue des taureaux qu’ils ont vaincus en dur et loyal combat.

Tournant sa monture, entrant bravement dans le champ de dunes que Brémontier n’avait pas encore fixées Don Quichotte avançait vers La Teste à pas feutrés inaudibles en raison de la forte épaisseur de sable qui couvrait les chemins. À ses côtés Sancho Pança roulait avec sa monture sur la pente d’une dune dont il se releva la bouche pleine de sable.

-          C’est parce que tu n’es pas chevalier dit don Quichotte. Un parfait chevalier doit rester impassible sur sa monture.

Et, sans plus s’occuper de son compagnon, qui suffoquait à ses côtés il entrait dans une ville de sable aux maisons basses passées au goudron que dominait alors une tour de fière allure.

-          Voici, dit-i, un bien beau refuge pour un chevalier errant. Je vais de ce pas aller rendre hommage à la dame de ces lieux

Et priant Sancho de l’attendre au pied de la tour il entrait dans la salle où un garde chantait à tue-tête des chansons grivoises tout en lutinant une femme sur ses genoux. Choqué par cette attitude de ruffian et se figurant que les hauts cris de la belle étaient des appels au secours, le chevalier,  abaissant la visière de son casque, bondit lance au point pour délivrer tant gente dame de son tourmenteur qui fut expédié contre le mur de la salle de garde et demeura affalé sur le sol pavé d’icelle tant et si bien qu’on le crut mort. Ce que voyant la testerine, un moment ébahie, se pendit au cou de l’armure de don Quichotte et, malgré la froideur du métal et du visage de celui qu’on surnommait le Chevalier de la Triste Figure, le gratifia sur la bouche métallique de son heaume d’un parfait baiser de fin amor qui le frappa jusqu’au cœur, le laissant tout achatourli[3]. Quand il réussit à lever la visière et qu’il put enfin parler le Chevalier lui tint ce langage :

-          «  Gente dame de haut lignaige je vous eus volontiers servi si ne m’attendait à Toboso madame Dulcinée du Toboso qui est la dame dont je suis chevalier servant bien que toujours errant. Je fais ici serment de chevalier que vous resterez ma dame d’amour de loinh ainsi que fut à Tripoli la dame de Geoffroy Rudel. La récompense que vous me servîtes me suffira si vous vous rendez à la cité du Toboso afin d’y dire de point en point à ma Dulcinée tout ce qui s’est passé entre nous et que le Chevalier de la Triste Figure se recommande à elle. Quant à moi il me faut continuer le combat chevaleresque dans lequel je me suis engagé et pour lequel je fus adoubé en une taverne il y a de cela quelques dix ans passés.

Sancho qui était resté à l’écart et avait pressenti dans les désordres de toilette de la dame je ne sais quel diabolique message gesticulait en vain afin d’attirer son attention de son maître sur le débraillé de la donzelle un tantinet déconfite.

Sans plus s’attarder à cet exploit don Quichotte sortit de la salle pour tomber dans un de ces culs de basse fosse dont sont truffés les vieux châteaux surtout en bord de mer où ils s’emplissent d’eau aux fortes marées de maline. Nous n’étions heureusement qu’en morte-eau et quelques indigènes, accourus aux cris du brave Sancho, se mirent en demeure de sortir son maître de ce mauvais pas.

Dès qu’il fut hors de son trou à rats don Quichotte tint à remercier ses sauveteurs.

« Braves gens, dit le Chevalier, usant d’un langage viril en diable, demandez ce que vous voulez au grand don Quichotte : il ne sera pas dit que vous ayez servi un ingrat

-          Moi, dit le premier, je  voudrais bien avoir à manger autre chose que pain sec et sardines, ben qu’ayant  du bar de temps en temps.

-          Or çà, dit don Quichotte, je ne puis rien faire pour vous, un chevalier errant vit de quignons de pain sec d’anchois au sel et rarement de bacalao[4]. Trop manger rend mou. Apprenez à jeûner quelquefois. Voyez-nous, Rossinante et moi, aussi secs que vos hippocampes qui sont modèles de race chevaleresque.

-          Sire, dit le second, l’hiver est froid et nous n’avons pour nous réchauffer que les brindilles de la forêt usagère que notre seigneur nous accorda par baillette en 1468.

-          Je ne pourrais, dit l’homme de justice, aller à l’encontre de votre seigneur que je trouve bien généreux en ses résolutions. Si vous avez froid, battez-vous les flancs à grands coups de bras ou allez bûcheronner pour avoir pin vif à bâtir tilloles et chaumines.

-          Pitié, dit le troisième : il y a tant d’eau dans la lande l’hiver que nous sommes noyés jusqu’à mi jambes et perclus de rhumatisme quand nous y  cheminons.

-          J’ai pourtant vu, répondit Sa Seigneurie, de vos bergers qui vont au-dessus des flaques montés sur de solides jarrets durs comme bois qui sont dit shanks en Angleterre et que vous appelez chanques[5]. Je ne peux rien vous offrir de mieux que d’imiter ces géants pacifiques au poil bouclé comme peaux de moutons.

-          Mais rien n e pousse sur le sable dit le dernier

-          Çà, je vous promets qu’alentour la ville que je bâtirai il poussera touristes par milliers tant que vous en serez bientôt hartés[6] au point de crier grâce.

-          J’aimerais mieux crier grasse provende de cette espèce que chanter grâces à Notre Seigneur dit l’homme décidément bien mal embouché. « Ba-t-en, caracou »[7]

Tandis que don Quichotte se reposait de ces aventures, les braves indigènes s’assemblèrent pour délibérer de ce qu’ils pouvaient en attendre. Le trouvant aussi sec de cœur qu’exempt du Roi, ils entreprirent de se payer sur la bête, c'est-à-dire sur les hommes dont ils espéraient s’emparer de leurs biens comme ils font souventes fois au nez et à la barbe des gabelous desquels ils se gaussent, en costoyant[8] à chaque naufrage de navire qu’il fût naturel ou provoqué. Ils eurent tôt fait de laisser Sancho Pança aussi nu qu’un ver et s’ils ne purent y parvenir pour don Quichotte c’est qu’il avait l’armure chevillée au corps ne l’ayant jamais ôtée depuis qu’i l fut adoubé chevalier, ayant juré la garder tant qu’il n’aurait pas rendu hommage de  ses exploits à Dulcinée demeurée tous ces temps en sa ville de Toboso sa dame en chevalerie.

-          Il faut vous vêtir dit don Quichotte et qu’à ce jour je tienne la promesse que je vous fis d’un gouvernement. Au nom du Roi notre maître et en ma qualité de chevalier, Je vous fais céans gouverneur de l’île aux Oiseaux que nous apercevons d’ici.

L’âne de Sancho et Rossinante s’étant enfuis aux premiers horions de l’algarade, il fallut bien en attendre leur retour avant d’aller de l’avant. Ayant trouvé des pignots[9] sous un tas de varech, le brave Sancho entreprit de les assembler en radeau avant d’y arrimer l’âne et la haridelle qu’ils maintinrent debout tout au long de la traversée tandis que le courant les entraînait vers cette île où don Quichotte allait installer dans son auguste nudité le gouverneur qu’il venait de promouvoir.



[1] Thomas Ilyricus venait de recueillir une Vierge arrivée par naufrage et de construire une chapelle pour l’y vénérer.

[2] Mefie-te de la cansou de la sirene, de la coude de la aleine et do clouquey de Mimizan – proverbe marin : la sirène à cause d’Ulysse, la baleine à cause de Melville, le clocher de Mimizan à cause de la dune qui passe à droite ou à gauche deu clocher ;

[3] Amoureux d’une jeun e fille : voir Amour courtois et libertinage par Didier Alibeu éditions Loubatières

[4] La morue sèche – qui a séché à Bacalan.

[5] Échasses dont ont usé les bergers

[6] En avoir assez

[7] Va-t-en, caraque – le caraque étant, selon les circonstances l’espagnol, le gitan, le gueux, ou, pour tout dire, l’estarangey

[8] Action de naufrageurs ou pilleurs d’épaves

[9] Troncs de jeunes pins à tous usages de la barrière au mobilier nautique – utilisé ici à contre-emploi comme bien des épaves.

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commentaires

Q
<br /> Il y mettrait ses rêves, évidemment. :)<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Je ne les ai pas encore en archives<br /> <br /> <br /> <br />
Q
<br /> Me voilà servie de fort belle manière, Messire écrivain. :)<br /> <br /> J'adore cet épisode.<br /> Un énorme merci pour vous, Charles.<br /> <br /> Passez une belle soirée.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Qu'allait-il faire de cette île déserte?<br /> <br /> <br /> <br />